La décision de Fabio Quartararo de prolonger chez Yamaha deux saisons supplémentaires interpelle au regard du manque de compétitivité de la M1. Le niçois de 24 ans s'en explique par les moyens déployés pour revenir au sommet du MotoGP, tandis qu'Aprilia ne lui aurait pas fait d'offre…
"Je comprends que certains doutent de mon choix parce que moi-même, j'étais prêt à prendre mon départ pour une autre équipe il y a quelques mois", confesse Fabio Quartararo pendant le GP des Amériques, où son écart sur les leaders était de nouveau très important : 22,899 sec sur le vainqueur en course principale, soit plus d'une seconde au tour durant cette épreuve de 20 boucles.
Certes le champion tricolore a perdu du temps avec un tout-droit dans le premier tour, mais le constat est similaire sur chaque circuit : la Yamaha accuse entre 0,5 sec et 0,8 sec sur la moto la plus rapide. Autrement dit, une Ducati dans la plupart des cas. Un écart abyssal à ce niveau de la catégorie, à plus forte raison aux mains d'un pilote de la trempe de Fabio.
D'où un certain étonnement quand sa décision de renouveler son contrat avec Yamaha jusqu'en 2026 a été dévoilée début avril. Beaucoup imaginaient déjà le champion du monde 2021 revêtir les couleurs d'Aprilia, de Ducati voire de KTM en 2025.
D'autant que Fabio ne mâche pas ses mots envers Yamaha et tient des propos sévères course après course depuis la perte de son titre en 2022, quand Pecco Bagnaia lui a repris 91 points sur le dernier tiers de la saison. Soit dit en passant, du jamais-vu en catégorie reine pour un pilote disposant d'une telle avance...
2023 fût encore plus frustrante avec aucune victoire, ni en sprint ni en course longue. Son meilleur résultat est une troisième place aux États-Unis, renouvelée en Inde et en Indonésie : très, très loin des objectifs d'un récent porteur de couronne ! Fabio ne s'est plus imposé depuis le GP d'Allemagne en juin 2022 : pratiquement deux ans de disette pour le meilleur représentant Yamaha.
Le voir quitter le blason d'Iwata après une telle dégringolade n'aurait par conséquent choqué personne. Fabio est encore jeune (24 ans), mais les années perdues ne se rattrapent pas en compétition. Demandez à Marc Marquez : l'espagnol sacrifie le confort financier de son contrat d'usine au HRC pour piloter une "vieille" Ducati dans une structure privée.
Dans ces conditions, pourquoi rester quand 2024 s'annonce dans la même veine ? "Nous sommes plus loin que jamais", se désolait-il après l'ouverture au Qatar, conscient déjà de l'impossibilité de jouer le titre malgré les concessions accordées à Honda et Yamaha. Dans le meilleur des cas, l'YZR-M1 gagnera en compétitivité à la mi-saison… mais elle ne comblera pas un retard de plusieurs dixièmes en quelques mois !
"Il y a un choix à faire et ce n'est pas facile", avait admis Fabio Quartararo quelques semaines avant sa resignature. "D'un côté, Yamaha fait des choses que je n'ai jamais vues en six ans : il font vraiment de gros changements. De l'autre, il y a la possibilité de piloter des motos qui sont déjà aux avant-postes".
Parmi les changements évoqués, le recrutement de Max Bartolini - ancien bras droit de l'ingénieur en chef Luigi Dall'Igna chez Ducati - pèserait beaucoup dans la balance. Fabio apprécie de voir Yamaha sortir - enfin - de sa zone de confort en faisant appel à des sources extérieures. Une petite révolution pour un constructeur japonais, traditionnellement attaché à un contrôle total.
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"Ils ont recruté énormément de nouveaux ingénieurs : pas mal de choses se passent en Italie et non plus au Japon", explique le n°20. "La rapidité pour changer une pièce a totalement changé : dans ces conditions, c'était très intéressant pour moi de continuer avec Yamaha. (...) Yamaha est en train d'investir des sommes énormes pour avoir une meilleure moto", poursuit-il. "Je pense que c'est l'une des seules marques qui investit autant dans ce projet".
L'argent. Le nerf de la guerre ! Impossible d'auculter la dimension économique dans cette décision : le nouveau contrat de Fabio est estimé à 12 millions d'euros par saison (!), soit la plus forte rémunération du MotoGP. Certes, les millions ne valent pas un titre. Mais une offre pareille est difficile à refuser, surtout si Yamaha a su le convaincre de belles perspectives !
"On ne va pas se mentir : oui, en tant que pilote j'ai une valeur, et Yamaha le sait très bien", estime le tricolore. "(...) La raison numéro 1, c'est bien sûr le projet pour les prochaines années. Le plan financier n'a été qu'une petite partie prise en compte sur ce contrat."
"Je pense que le départ de Marquez de Honda vers Ducati a réveillé pas mal de personnes chez Yamaha", analyse par ailleurs Fabio Quartararo auprès nos confrères de Canal+. "Je ne veux pas de promesses mais des preuves, et cette année j'en ai déjà eu", affirme le coéquipier d'Alex Rins.
"Et puis j'ai aussi un égo, une fierté", ajoute le "Bon 20 français". "On a gagné avec Yamaha. On est descendus au plus bas pendant ces deux dernières années. (...) Et je compte aussi celle-là (2024, NDLR). J'ai envie de remonter avec la marque qui m'a donné l'opportunité de changer ma carrière, avec la marque qui a fait changer ma vie."
A noter par ailleurs que Lin Jarvis - directeur du programme MotoGP de Yamaha depuis 25 ans - quittera ses fonctions à la fin de la saison 2024. Le britannique de 66 ans - à droite ci-dessus - a été le chef d'orchestre de la marque pendant les grandes époques victorieuses de Rossi puis Lorenzo. Soit la bagatelle de huit titres sous son ère, dont le dernier avec Fabio en 2021.
Le fait que Yamaha communique son départ au moment même de l'annonce du renouvellement de Fabio Quartararo n'est probablement pas une coïncidence... Surtout que le pilote français ne cesse de répéter à quel point il apprécie l'opération "table rase" entreprise pour remonter la pente !
Enfin, dernier argument à prendre en considération pour évaluer la décision de Fabio Quartararo : le manque d'alternative compétitive. Claquer la porte Yamaha est une chose, mais encore faut-il être en mesure d'en franchir une autre plus intéressante ! Sachant qu'un pilote de son rang n'envisage qu'un guidon officiel sur une moto gagnante. Soit trois pistes possibles : Aprilia, Ducati ou KTM.
Honda ? Vous n'y pensez pas ! Passer de l'avant-dernière moto du classement constructeur 2023 à la dernière n'est pas très constructif. Quand bien même le HRC lui déroulerait le tapis rouge au regard de ses difficultés actuelles : la nouvelle recrue Honda-Repsol, Luca Marini, ne décolle pas des dernières positions avec un retard de 33,529 sec sur le vainqueur aux États-Unis. Si l'YZR-M1 a perdu du terrain, la RC213V est carrément hors-jeu !
Du côté des marques européennes, la compétitivité ne fait aucun doute : rejoindre l'épouvantail Ducati est l'assurance de renouer avec la gagne. Là encore, l'exemple de Marc Marquez est parlant : l'espagnol rejoue aux avant-postes après des trois années de souffrance sur la Honda. Le n°93 est déjà monté deux fois sur le podium (sprint) en trois courses, alors qu'il n'y est parvenu qu'à une seule reprise pendant toute la saison 2023 (course principale au Japon) !
Problème : le vivier Ducati est bien rempli, certainement trop pour accueillir Fabio dans la structure officielle. Francesco Bagnaia a d'ores et déjà resigné jusqu'en 2026, alors que la lutte fait rage pour le deuxième guidon officiel en 2025 entre Enea Bastianini - dont le potentiel a été gâché en 2023 par une lourde blessure au dos - et le vice-champion du monde aux dents très longues, Jorge Martin.
Sans parler des autres prétendants couvés par la marque de Bologne : Marco Bezzecchi, Franco Morbidelli (nan : on déconne !) et, pourquoi pas, Marc Marquez. Ducati s'est en outre déjà assuré le recrutement de l'espoir espagnol Fermen Aldeguer (18 ans), qui fera ses débuts en MotoGP l'an prochain a priori dans l'équipe Pramac. Bref, la demande ne manque pas pour la marque italienne : c'est plutôt l'offre qui fait défaut pour contenter tout le monde !
Chez KTM, Brad Binder est reconduit jusqu'en 2026 tandis que la deuxième RC16 d'usine semble d'ores et déjà promise au phénomène Pedro Acosta. Le sympathique mais inconstant Jack Miller peut préparer ses valises : le débutant est sur une trajectoire météorique chez Tech3 GasGas. Recruter Fabio Quartararo n'est donc pas indispensable, d'autant que KTM préfère valoriser les pilotes en provenance de ses filières Moto3/Moto2.
Reste Aprilia, l'équipe italienne vers laquelle beaucoup de regards se tournaient pour accueillir Fabio Quartararo en 2025. La vitesse de la RS-GP n'est plus à prouver, pas plus que sa capacité à remporter des courses : Alex Espargaro l'a prouvé à deux reprises l'an dernier, alors que son coéquipier Maverick Viñales vient de signer un doublé victorieux au GP des Amériques avec en prime le record absolu en qualifications !
Certes la fiabilité de la MotoGP de Noale prête encore parfois le flanc à la critique, mais son V4 marche du feu de dieu dans la plupart des cas. Finie l'époque où le bloc italien cassait comme du verre, quand ce n'était pas l'électronique ou les complexes dispositifs de variation d'assiette qui fonctionnaient à l'alternatif.
Mais si le pilote Yamaha a bel et bien pris contact avec Aprilia, les négociations ne seraient cependant pas allées plus loin : "Fabio est un champion : c'est quelqu'un qui a quelque chose en plus, mais si vous me demandez si on a fait une offre ferme à qui que ce soit, c'est non", révèle le PDG d'Aprilia Racing.
Interrogé par Canal+ en marge du GP des Amériques, Massimo Rivola confirme avoir examiné la candidature du français avec la plus grande attention : "quand on a un pilote super talentueux comme Fabio ou d'autres qui viennent vers nous pour voir la situation, notre travail est évidemment de les écouter et de comprendre s'il y a une possibilité ou pas".
En d'autres termes : Aprilia n'avait pas la possibilité - technique ou fiancière - de faire une offre à Fabio Quartararo. Et Rivola donne un indice sur sa hiérarchisation des budgets : "pour nous, la moto est la priorité. L'améliorer autant que possible pour être plus puissants sur le marché et que les pilotes soient heureux de rester à nos côtés est notre priorité". Comprendre qu'Aprilia préfère injecter une dizaine de millions d'euros en R&D sur son proto plutôt que sur le compte d'un de ses pilotes.
Cela implique que Fabio Quartararo n'avait pas vraiment d'autres alternatives que de resigner (résigner ?) avec Yamaha, et certainement aucune aussi lucrative. Choix intéressé, alors ? Oui et non : Yamaha - tout comme Honda - possède les ressources nécessaires pour revenir aux avant-postes. Et le constructeur japonais ne restera pas en MotoGP pour y faire de la figuration : preuve en est l'énergie déployée pour remonter un team satelitte en 2025, "une priorité" affirme Jarvis.
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Plateau : Les pilotes et leurs motos 2024
10 mars : GP du Qatar
24 mars : GP du Portugal
07 avril : GP d'Argentine (annulé)
14 avril : GP des Amériques
28 avril : GP d'Espagne
12 mai : GP de France
26 mai : GP de Catalogne
02 juin : GP d'Italie
16 juin : GP du Kazakhstan (reporté)
30 juin : GP des Pays-Bas
07 juillet : GP d'Allemagne
04 août : GP de Grande-Bretagne
18 août : GP d'Autriche
01 septembre : GP d'Aragon
08 septembre : GP de San-Marin
22 septembre : GP d'Inde (annulé)
22 septembre : GP Kazakhstan (annulé !)
22 septembre : GP d'Emilie-Romagne
29 septembre : GP d'Indonésie
06 octobre : GP du Japon
20 octobre : GP d'Australie
27 octobre : GP de Thaïlande
03 novembre : GP de Malaisie
17 novembre : GP de Valence
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