Les 24 Heures moto de Spa se déroulent ce week-end ! L’occasion pour Moto-Net.Com de faire le point avec Dunlop, vainqueur avec la BMW officielle n°37 de l’épreuve l’an dernier et fournisseur unique de la catégorie Superstock du championnat du monde d’Endurance... Interview du boss français, Francis Audefroy.
Moto-Net.Com : Un petit coup d'œil dans lé rétro pour commencer... En 2022, Dunlop est devenu fournisseur unique de la catégorie Superstock en EWC. Pour quelles raisons ?
Francis Audefroy (directeur de la division Dunlop Moto France) : C’est un choix de l’organisateur, Discovery. Selon lui, le fournisseur unique apporte une certaine équité entre les équipes. C’est vrai, cela neutralise l’impondérable "pneumatique", ce qui permet aux motos et aux équipages de faire la différence. C’est ce qu’on peut observer dans d’autres championnats monomarque : les constructeurs sont mis en avant. Il y a aussi une question d’équilibre financier du championnat : l’EWC n’est pas le plus en forme, il a besoin d’un partenaire qui s’y retrouve lui aussi dans l’opération.
MNC : La catégorie "reine" EWC reste multimarque en revanche...
F. A. : Oui, et nous n’avons pas d’information sur l’avenir et le fait qu’il voudrait passer au monomarque pour l’ensemble du plateau. Il faudrait vous rapprocher d’eux pour en savoir plus. De notre point de vue, c’est tout à fait possible puisque d’autres championnats du monde sont verrouillés de la sorte : World Superbike, MotoGP, etc.
MNC : Un championnat EWC 100 % Dunlop, ce serait jouable pour vous sur le plan logistique ?
F. A. : Sur le plan production / logistique, oui. Mais aujourd’hui, nous ne poussons vraiment pas dans cette direction. Ce n’est pas notre volonté aujourd’hui de fournir l’EWC. Cela reste un lieu de confrontation. Or en participant à ce championnat du monde d’Endurance, donc en se mesurant aux autres, on développe et on progresse. Et on cherche à gagner ! Mais tout ceci est au bon vouloir de l’organisateur. Nous répondrions en cas de demande, mais nous ne le sollicitons pas du tout en ce sens.
MNC : Quels pneus fournissez-vous aux teams ? Dunlop KR106 ou 109 à l’avant, KR108 à l’arrière ?
F. A. : On peut considérer que le KR 106 a quasiment disparu de notre gamme, qu’il n’existe plus. On est passé au KR 109 qui bénéficie de nouvelles technologies et pas seulement d’évolutions, d’où son changement de nom. Il est proposé avec deux types de gommes. À l’arrière, c’est bien du 108, avec deux gommes différentes. Ça, c’est pour les écuries Superstock et certaines EWC, car les teams EWC officiels bénéficient d’un peu plus de choix (3 Av et 4 Ar, voire des pneus de validation qu’on peut aussi appeler pneus de développement). Ce qu’on constate c’est que même les EWC comme la n°37 /qui a accès à la gamme élargie de KR, utilisent le même pneu avant que les STK : le KR109 en MS3, à 60/80 % du temps.
MNC : C’est celui qu’ils connaissent par coeur, que les pilotes apprécient...
F. A. : C’est le plus polyvalent, qui passe au travers des heures de course : du mileu d’après-midi au départ, jusqu’à la tombée de la nuit voire milieu de nuit. Même si tu as des alternatives, c’est celui-ci qui marche le mieux.
MNC : On choisit le type de gommes en fonction de la température et du tarmac, mais aussi du pilote et son ressenti, de la moto et ses réglages ?
F. A. : Pour Dunlop, le choix se fait selon deux facteurs rationnels : la température (de l’air et de la piste) et la sévérité de la piste. Parce que nous n’avons pas, comme tu le dis, cette relation émotionnelle qu’ont les pilotes. Le team manager (ou le wheel manager, le tyre manager, tout dépend des équipes) consulte ses pilotes et leurs sensations... Ils sont trois sur la moto, donc cela fait trois sensations, c’est parfois difficile de trancher ! Ça peut aussi être lié à la moto, réglée pour aller chercher plus de grip et qui les rend prisonniers d’un type de gomme, même si la fenêtre température ou sévérité est dépassée. Enfin, il y a des notions de budget également car les pneus ne s’usent pas forcément à la même vitesse. Un team au budget limité peut choisir de favoriser l’endurance au dépend de la performance pure. C’est donc une grille à double lecture, mais dans 80 % des cas, nos propositions sont retenues.
MNC : Il y a aussi des gommes intermédiaires et de pluie...
F. A. : Nous proposons une gomme pluie et un intermédiaire à l’arrière.
MNC : Ce n’est pas évident quand, au Mans par exemple, une petite averse apparaît !
F. A. : Oui, c’est le dur boulot du team manager ! Passer en pluie ou pas, ralentir en slick tout en restant sur les trajectoires... Sans toujours savoir ce qui se passe à l’autre bout du circuit. En moto le Bugatti n’est pas très grand, mais le week-end dernier aux 24 Heures auto, le grand circuit était partiellement inondé et ensoleillé. Il y a eu de la casse, en raison de stratégies qui n’étaient pas adaptées à la minute près. Ça devient la roulette russe.
MNC : Quels sont les tarifs de vos pneus ? Quel budget prévoir pour une épreuve de 24H ?
F. A. : Le prix unitaire est 187 euros le pneu avant, 270 euros l’arrière en hors taxes. Cela fait le train à 550 euros TTC . Ensuite, il faut sortir la calculatrice, mais cela dépend des changements : 1 ou 2 relais pour l’arrière, 1, 2 ou 4 relais à l’avant. C’est donc compliqué car cela dépend justement du budget de l’équipe. En Superstock, on peut estimer que cela revient entre 6000 et 8000 euros par épreuve. Mais attention, ce n’est pas uniquement le prix du pneu.
MNC : Le prix du pneu n’intègre pas que le produit, mais aussi des services ?
F. A. : Parfaitement, car les teams ne viennent pas avec leurs pneus sur le circuit. Ils viennent se fournir au camion, ce qui nécessite tout un stock, une équipe de monteurs présents en permanence pendant la course évidemment mais aussi avant avec des amplitudes horaires pas possibles. Il y a une vingtaine de techniciens qui tournent... et qui représentent un petit coût. On ne se contente pas de benner des pneus sur le parking et débrouillez-vous ! Il y a tout le "Track Support", les ingénieurs ! En EWC, le team BMW dispose de son ingénieur 24/24h. En STK, chaque ingénieur gère quatre à six équipes : il les conseille en permanence, les aide à prendre des décisions, à mesurer les usures de pneus, à comprendre ce qui se passe. Dunlop propose aussi des formations sur les pneus, les couvertures chauffantes, les pressions recommandées (on étalonne les manomètres...). Tout cela a un prix... pour le client, un coût pour nous. On ne se verrait pas vendre les pneus 400 euros, et facturer 2000 euros de support technique.
MNC : Vous faites support technique.. et soutien moral, parfois ?
F. A. : Ça arrive ! Quand certains sont désespérés car ils ne comprennent pas pourquoi la moto tourne moins vite, ils apprécient cette aide extérieure qui les relance : "remontez de 50 gr vos pressions", ou "le pneu s’use de telle manière, il se passe telle chose, vous pouvez corriger comme ça".. Et la confiance revient.
MNC : Les dotations en récompense des bons résultats sont maintenues ?
F. A. : Oui, le Dunlop Superstock Trophy existe toujours. Sur toute la saison, Dunlop offre 345 trains de pneus. Le EWC Challenge met en jeu 155 trains également, au mérite toujours. Cela fait donc 1000 pneus au total, et les dotations descendent assez loin dans le classement.
MNC : Ces challenges remontent d’avant votre partenariat exclusif en Superstock ?
F. A. : Il y avait bien un Challenge Dunlop avant cela, mais les teams recevaient alors des chèques. Aujourd’hui, on propose des remises sur les pneus en quelque sorte.
MNC : D’après le Top 3 final en STK 2022 (Yamaha, Suzuki, Kawasaki), les pneus fonctionnent bien sur toutes les motos ! Pourtant, certains constructeurs recommandent ou homologuent certains pneus plutôt que d’autres sur leurs sportives du commerce...
F. A. : Si certains constructeurs ont cette attitude pour leur "Superbike de route", c’est généralement parce que les boîtiers électroniques sont paramétrés avec une référence de pneumatique. En changeant de pneu, on change de circonférence, de profil, etc. Si le boîtier ne peut pas l’intégrer, les interventions de l’électronique ne sont plus optimales. Les machines de course ont des boîtiers spécifiques avec des spectres d’utilisation beaucoup plus larges. Il suffit alors de rentrer ses tables, qui dépendent notamment du rayon du pneu en fonction de la prise d’angle. La moto n’est plus perturbée. Ces kits Racing valent d’ailleurs une petite fortune, environ 2000 euros, mais permettent de s’adapter à tout type de pneus.
MNC : En EWC sur les fiches de résultat, les marques de moto apparaissent, mais pas celles des pneus. C’est dommage, non ? Après, la marque de l’essence, de l’huile, des freins, des suspensions, pas plus...
F. A. : Là encore, c’est un choix de l’organisateur. Ce genre d’inscriptions s’achète peut-être, je ne suis pas dans les négos. Cependant, lors des retransmissions à la télévision, les manufacturiers sont souvent mentionnés. Si bien que ça ne nous manquent pas sur les feuilles éditées par Discovery ou la FIM.
MNC : La saison 2023 a débuté au Mans, sur les chapeaux de roues. Vous proposiez de nouvelles gommes ?
F. A. : Oui car en fait, il y a toujours des évolutions d’une saison à l’autre. Elles sont souvent silencieuses, mais parfois annoncées, expliquées et promues comme lors du passage du KR106 au 109 : l’ancienne construction "Cap and Base" laisse la place à une construction JLB (ceinture sans joint) pour apporter stabilité à haute vitesse, et un comportement sain de mise sur l’angle. Mais les mélanges, les carcasses, les constructions héritent toujours du meilleur du développement de la saison précédente, des fameux pneus "val". Ces pneus de validation qui sont testés sur différentes motos et dont on tire le meilleur pour la saison suivante. On évolue donc continuellement en fonction des châssis, des moteurs, des électroniques. Sur un petit coup de génie, on peut même tenter de les anticiper.
MNC : Le KR108 qui n’a pas changé de dénomination depuis plusieurs saisons, change tout de même. Le 2023 n’est pas un 2020 ?
F. A. : Tout à fait, le 2023 n’est pas le 2022 ! La composition de la gomme évolue, car les puissances des moteurs grimpent. Les châssis aussi changent avec l’arrivée de nouvelles générations de pilotes, l’assiette par exemple est modifiée.
MNC : Il y a de grands noms de la vitesse qui roulent désormais en Endurance. Sans dévaloriser les précédents pilotes, ils attaquent plus fort ?
F. A. : Exactement, les gars qui arrivent du Superbike ou des Grand Prix ne pilotent pas pareil, les appuis et les contraintes ne sont plus les mêmes.
MNC : Parlons performance justement... Lors des 24H du Mans 2023, le meilleur chrono en course en EWC était de 1’ 35,751 (team officiel BMW sur Dunlop, 3ème au final), contre 1’ 37,541 en SST (BMW Tecmas, victorieuse). L’écart est faible au regard des différences de budget et de niveau de préparation de la moto, non ?
F. A. : (rires) Alors, déjà la BMW Superstock roulait particulièrement vite (trois concurrents sous 1’ 38 aussi, quatre sous 1’ 40, NDLR). On peut effectivement se dire : "tout ça pour ça".
MNC : MNC sait que les derniers centièmes qui font gagner sont toujours les plus durs à aller chercher... Mais pour le pilote amateur qui tourne en 1’ 47, il sera sûrement impressionné par les chronos des motos "stock", pas si loin des "Superbike".
F. A. : Ca bombarde, c’est sûr ! Mais pour parler de performance, en multipliant cet écart par le nombre de tours bouclés en 24 heures (800 pour les meilleurs), cela fait une demi-heure ! En distance, cela fait tout de même environ 80 km. Ce n’est pas insignifiant ! C’est même beaucoup en fin de compte.
MNC : Les motos d’Endurance et les prototypes de Moto2 (voire Moto3) sont très différentes. Existe-t-il des liens entre leurs pneus ?
F. A. : Il n’y en a pas avec le Moto3 car ce sont des petites cylindrées qui chaussent des pneus de 90 et 115 mm de large. Ou alors c’est une cousinade très, très éloignée, à la rigueur. Les pneus sont ronds, noirs, d’accord. Ils sont tous produits dans notre usine française de Montluçon ! Mais les fils de carcasse ne sont pas tout à fait les mêmes, leurs tensions varient, les rigidités aussi, et ainsi de suite. Les Moto2 c’est encore différent car leurs châssis sont beaucoup plus rigides que les Endurance, beaucoup plus légères et moins puissantes (environ 100 ch de moins) donc contraignent les pneus différemment. Et l’objectif du pneu Moto2 est de rouler 40 minutes, pas 55 minutes voire 2 heures. Dans un cas, le même pilote garde sa moto toute l’année et elle est réglée aux petits oignons, dans l’autre trois pilotes se relaient sur 24H, plus parfois sur l’ensemble d’une saison, avec des réglages nécessairement plus approximatifs. Le cahier ded charges est très différent.
MNC : Et si l’on compare les KR aux pneus très sportifs, homologués route ?
F. A. : On peut trouver des composants communs, contre le froid notamment. Entre la gamme E du GP Racer D212 et les KR destinés aux mêmes faibles températures. Dans le Roadsmart IV, on a un dérivé de la résine des pneus pluie de compétition. Ce n’est pas la véritable résine car elle est liquide, mais c’est une formulation très, très proche. On a ce style d’application, oui.
MNC : Cela peut donner des pistes en termes de développement ?
F. A. : Ça peut effectivement ouvrir des pistes d’exploration... ou au contraire, en fermer complètement.
MNC : Les performances des motos d’Endurance sont excellentes... en termes de vitesse, mais moins d’endurance, non ? Le nombre de pneus passés sur une épreuve n’est-il pas trop important ? L’arrivée de pilotes très rapides ne fausse pas la donne ? On ne s’éloigne pas de l’esprit de l’Endurance ?
F. A. : C’est aussi lié à la motorisation... Il y a encore 20 ans, les motos sortaient 150, 160 chevaux. Aujourd’hui, les plus puissantes dépassent les 210, 220 ch, peut-être même plus. À partir de là, il faut des pneus adéquats qui permettent d’exploiter le potentiel de la machine, et assurer la sécurité du pilote. Idem pour les systèmes de freinage qui sont bien plus puissants. On déplace donc les curseurs, on essaie d’améliorer à la fois la performance pure et l’endurance, mais l’équilibre doit être maintenu. On avance lentement...
MNC : Lentement mais sûrement, il ne s’agit pas de mettre des pneus en bois qui durent toute une saison !
F. A. : Il faut des pneus performants, et constants. C’est pour cela qu’on n’a plus les KR106, les rois d’il y a quinze ans, mais qu’on devait remplacer en raison des motos qui freinent bien plus fort aujourd’hui. Pas comme en MotoGP, mais on n’est vraiment plus très loin ! Il serait possible de revoir le règlement, d’interdire les double disques, brider les moteurs, auquel cas les pneus dureraient plus longtemps. Mais ce n’est pas à nous d’intervenir.
MNC : Les préconisations pour le pneu arrière, c’est deux relais maxi ?
F. A. : Oui, même si certains teams sur leur initiative poussent à trois. Ce qui ne leur pose pas de problème, ils n’ont jamais relevé de souci. Par précaution, on conseille deux relais à l’arrière (quatre à l’avant). Cela contente d’ailleurs les team managers car cette rotation évite de "punir" toujours le troisième pilote qui ne roulerait qu’avec des pneus usés voire rincés, à chacun de ses relais. Car la dimension morale est importante aussi : "je suis le troisième pilote et je termine toujours les pneus ?" Ce serait dur !
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