La délicieuse authenticité de la nouvelle Royal Enfield Interceptor 650, premier bicylindre du constructeur depuis 1970, fait-elle ombrage à la redoutable maîtrise du néo-classique de l'onéreuse Triumph Street Twin ? Réponses dans notre duel MNC.
Les derniers faits et gestes du "Royal baby", fils de Meghan Markle et du prince britannique Harry, vous laissent froid ? Nous aussi ! Place plutôt au "Royal duel" concocté par Moto-Net.Com : la très attendue Royal Enfield Interceptor 650 contre la Triumph Street Twin, incarnation moderne "so delicious" de la Bonneville du constructeur de Sa Majesté.
Deux motos à l'allure classique soigneusement entretenue via des caractéristiques communes comme leur phare rond, leur longue selle, leur double berceau en acier, leurs combinés amortisseurs ou encore leur réservoir en goutte d'eau de faible contenance : 13,7 litres pour l'indienne et seulement 12 l pour l'anglaise. Le coup de la panne, déjà un classique ?!
D'autres touches "rétro" les rapprochent : roue avant de 18 pouces, bouchon de réservoir sans charnière et longs échappements coniques (brillamment chromés sur l'Enfield, amoureusement brossés sur la Triumph). Sans oublier leur bicylindre vertical tous deux calés à 270°. En y regardant de près, la Street Twin révèle toutefois davantage de points d'ancrage dans le 21ème siècle...
Ne vous fiez pas à ses ailettes polies : son moteur - qui gagne 10 ch en 2019 - est en réalité refroidi par eau, quand l'inédit twin concurrent est à refroidissement air-huile. La "Bonnie" étrenne par ailleurs deux cartographies (Road et Rain) qui influent sur la réactivité de son antipatinage, tandis que son instrumentation est commandée depuis un déport au guidon (détails en page 2). Une "vraie-fausse vieille" en somme !
L'Interceptor 650 se passe volontiers de tout cet attirail électronique, sans pour autant négliger l'essentiel : ABS à deux canaux, injection Bosch, écran LCD avec jauge à essence et un étrier de frein avant à 2-pistons en provenance de la filiale indienne de Brembo, "ByBre". Suffisant pour concurrencer la nouvelle pince à 4-pistons Brembo introduite cette année sur la Triumph ?
La Royal Enfield a en attendant le bon goût de disposer de jantes à rayons, d'une poignée passager et d'une béquille centrale, absentes de série sur la Street Twin. Trois lacunes difficiles à pardonner au regard de son prix élevé : 9400 euros, en hausse de 500 € depuis sa sortie en 2016 et notre duel contre la Moto Guzzi V9 Roamer.
A seulement 6490 euros (moins chère qu'une MT-07 !), l'Interceptor 650 est presque 3000 euros moins onéreuse ! Certes, l'indienne ne joue pas exactement dans la même cour avec ses 648 cc face aux 900 cc de la Triumph. Un déficit de cylindrée de 252 cc à l'origine d'un rendement inférieur : 47 ch et 52 Nm contre 65 ch et 80 Nm, pour des poids similaires de respectivement 202 kg et 198 kg à sec.
Autre argument en faveur de la Street Twin : sa finition exceptionnelle, marque de fabrique de la plupart des Triumph. Chacune de ses pièces fait briller les yeux et taire les fine-bouches, de ses anti-parasites rouge marqués "Triumph" à son assise façon alcantara en passant par ses jantes polies et son support de phare en alu brossé. Sa fabrication délocalisée dans l'usine thaïlandaise de la marque est hors de critique.
Elle aussi en provenance d'Asie, la Royal Enfield soutient plutôt bien la comparaison : ses carters soigneusement poncés, notamment, sont de véritables miroirs dans lesquels le regard se perd avec plaisir. Ses amortisseurs à bonbonne séparées et ses durits avia sont également appréciés, tout comme le cache métallique qui dissimule habilement l'injection - comme sur la Triumph.
MNC est moins charmé par ses leviers non réglables (les deux le sont sur l'anglaise) et ses supports de clignotants et de phare en plastique chromé, là où on attendait du métal. Sa visserie n'est par ailleurs pas spécialement valorisante, alors que le câble du compteur raccordé au moyeu avant et son bouton pressoir sur son tableau de bord font vraiment "old school"…
Le bilan visuel reste cependant extrêmement élogieux, surtout au regard de son prix. Mais la Street Twin lui oppose une confection presque luxueuse, qui légitime en partie son tarif. La britannique illustre cette subtile différence entre souci du détail et obsession du détail, celle qui distingue du bel ouvrage et du travail d'orfèvre. La classe absolue a l'accent anglais !
En parlant d'accent, celui de l'élégante moto d'Hinckley est aussi charmeur que sa finition : la sonorité grave de son bicylindre parallèle prend immédiatement aux tripes. Sa présence impressionnante - mais jamais envahissante - évoque de profondes pulsations à basse fréquences, qui s'amplifient par résonance dans ses jolies flûtes.
La bande-son Royal Enfield est éclipsée par ces puissantes vocalises qui ne feront certainement pas les affaires des fabricants d'adaptables : changer les échappements de la Street Twin ? Aucun intérêt ! Pas de "pots" pour les spécialistes de l'augmentation des décibels et de la diminution du compte en banque...
La mélodie interprétée par l'Interceptor 650, plus étouffée, demande de tendre davantage d'oreille pour apprécier sa tessiture riche et son timbre rauque. Un son moins puissant que sa rivale, certes, mais étonnamment entraînant car ponctué de sourds crépitements à la coupure des gaz (écoutez-les dans la vidéo MNC de notre duel).
Surprise : cette sonorité enjouée colle à merveille au caractère vif et généreux du bicylindre indien ! Toutes proportions gardées, bien entendu : n'attendez pas de lui des montées en régimes spectaculaires et des crêtes de couple explosives. Mais ce petit twin d'à peine 50 ch - nativement A2, donc - n'engendre pas la mélancolie et délivre de solides relances.
La Triumph, sûre de sa supériorité avec ses 18 ch supplémentaires, en sera la première étonnée : l'Enfield lui colle temporairement aux basques en sortie d'agglomération sur le troisième rapport. La Street Twin finit tout de même par prendre l'ascendant aux mi-régimes, mais l'alerte a été chaude !
Par quel miracle le "petit" six et demi arrive-t-il ainsi à s'accrocher ? Simple : la Street Twin possède cinq vitesses, contre six sur l'Interceptor. La Triumph tire en toute logique un braquet beaucoup plus long sur certains rapports (4200 tr/mn en 5ème à 130 km/h contre 5250 tr/mn en 6ème pour la Royal Enfield !), à l'origine d'une certaine léthargie à bas-régimes.
Le twin britannique - davantage sujet à l'inertie en raison de ses 900 cc - est par ailleurs peu expansif sous 4000 tr/mn, délivrant une poussée vigoureuse mais exagérément linéaire. Sa rivale profite de sa cylindrée inférieure et de ses cotes "super-carrées" (78 x 68,7 mm contre 84,6 x 80 mm) pour se montrer plus alerte… même si, au final, sa poussée n'est pas aussi consistante.
Car un deuxième test de reprise effectué sur le second rapport remet les pendules à l'heure : la Street Twin laisse littéralement sur place la Royal Enfield, dominant particulièrement entre 3000 tr/mn et 6000 tr/mn (les deux ruptent à 7500 tr/mn). Pas inutile, finalement, son anti-patinage en cas d'optimisme sur une chaussée glissante !
En deuxième, l'anglaise bondit vigoureusement à la moindre rotation de son ride-by-wire parfaitement calibré. L'Interceptor 650 - moins douce à la remise des gaz - est larguée par cette démonstration de coffre, qui souligne la nécessité de la maintenir dans les tours pour espérer répliquer. Trop tard : la Street Twin a depuis longtemps filé à l'anglaise !
Ces deux "rétros" ont par ailleurs en commun d'excellentes manières qui les rendent particulièrement faciles et agréables. La Street Twin et l'Interceptor 650 font demi-tour dans un mouchoir - en respectivement 4,70 m et 5,27 m - et sont d'une sobriété réjouissante : MNC est descendu à 3,81 l/100 km avec la Triumph et 4,13 l/100 km avec la Royal Enfield !
L'anglaise supporte en outre sans broncher de descendre à 1500 tr/mn sur son dernier rapport, élasticité qui met sa rivale face à ses limites. La Royal Enfield - plus à l'aise à partir de 2000 tr/mn - est également battue au chapitre de la douceur d'embrayage et de la maîtrise des vibrations, irréprochables sur la Triumph.
Le guidon de l'Interceptor 650 est traversé de grésillements à 3500 tr/mn, soit à 90 km/h en sixième. Le phénomène n'est pas insupportable mais suffisant pour "chatouiller" les mains et brouiller la vision - déjà limitée - de ses rétroviseurs. La Street Twin est exempte de ce genre de critiques.
Chacune dispose d'une boîte de vitesses plutôt rêche, mais agréablement précise. Celle de Royal Enfield a notre préférence pour sa meilleure réactivité : la lenteur de la sélection de la Triumph contraint à bien décomposer chaque passage de rapport… Exaspérant ? Quand même pas : c'est une Street Twin, pas une Street Triple !
Le parallèle avec le roadster sportif de Triumph peut en revanche être réalisé, dans une certaine mesure, en matière de rigueur de partie-cycle. Là encore, pas d'inquiétude, MNC ne tente pas de vous faire prendre des vessies pour des lanternes : la Street Twin est évidemment loin d'être aussi affûtée que sa "cousine" !
Mais la "Bonnie" est surprenante d'efficacité dans les portions viroleuses grâce à sa rassurante neutralité et sa cohésion d'amortissement réussie : la Street Twin vire "d'un bloc", avec facilité et précision, comme une - bonne - moto moderne. Rien à voir avec certaines vieilleries dont l'avant se vrille et l'arrière pompe sans retenue !
Et l'Interceptor 650 ? Elle répond de nouveau présente sans se défiler, bien aidée par son robuste châssis réalisé par Harris (explications en page 2). La Royal Enfield se montre cependant plus physique, malgré sa roue arrière certes plus étroite (130 mm contre 150) mais plus haute (18" contre 17). A l'arrêt et à basse vitesse, on jurerait même qu'au moins 15 kg les séparent.
L'indienne est également moins rigoureuse : ses amortisseurs - plus confortables - laissent échapper des mouvements sur de fortes contraintes. De plus, son train avant engage à faible allure et tend à devenir flottant à haute vitesse : autant de limites "classiques" sur ce type de motos… que la Triumph surmontent habilement.
Imperturbable de stabilité, la Street Twin tient son cap et son rang ! L'anglaise ne pêche que par des suspensions moyennement amicales pour le bas du dos sur revêtements bosselés. Heureusement que sa selle reçoit 10 mm de rembourrage supplémentaire (760 mm Vs 750 en 2018) pour en partie compenser cet inconfort !
La Bonneville enfonce définitivement le clou grâce à son frein avant puissant et facile à doser, en nets progrès par rapport au millésime précédent. En comparaison, le levier droit de la Royal Enfield manque d'un peu de consistance, sans pour autant démériter : son rendement est satisfaisant pour le genre. C'est juste Triumph qui place la barre très haut !
L'Interceptor 650 offre en revanche un meilleur répondant à l'arrière, excellent allié d'une correction de trajectoire. Mention "très bien" enfin pour le fonctionnement fin et transparent des ABS de ces deux motos, qui dressent un pont particulièrement attractif entre look d'hier et performances d'aujourd'hui !
Raffinée et efficace, la Street Twin domine ce nouveau duel MNC de motos classiques. Triumph fait preuve d'une maestria remarquable dans le délicat exercice qui consiste à marier le style rétro aux technologies contemporaines : l'intitulé "Modern Classics" de sa gamme est parfaitement respecté.
La "petite Bonneville du 21ème siècle" profite par ailleurs d'améliorations subtiles, tant au niveau de son freinage que de son confort de selle. Ses inédites cartographies nous laissent en revanche moins enthousiastes : une béquille centrale et/ou des poignées passager auraient été beaucoup plus utiles !
Extrêmement bien née, la Royal Enfield doit courber l'échine essentiellement en raison d'une rigueur en léger retrait. Car c'est la belle surprise de ce duel : oui, l'Interceptor 650 est battue, mais pas écrasée ! L'indienne offre même une sacrée résistance à sa rivale, qui ne s'attendait sûrement pas à autant de répondant.
La grande nouveauté de la marque centenaire (histoire en page 2) possède elle aussi une forte prestance, en plus d'un sympathique caractère qui fait défaut à la trop lisse Street Twin. Sa ligne réussie, sa confortable efficacité et sa fabrication soignée sont louables, surtout rapportées à son prix plancher.
Un coup d'essai en forme de coup de maître pour Royal Enfield, à qui MNC adresse un grand coup de chapeau : bravo au groupe Eicher (propriétaire de la marque) pour cette moto aussi agréable qu'abordable. En cela, l'Interceptor 650 est un véritable coup de coeur quand le prix de la Street Twin constitue un petit crève-coeur...
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CONDITIONS ET PARCOURS | ||
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POINTS FORTS INTERCEPTOR 650 | ||
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POINTS FAIBLES INTERCEPTOR 650 | ||
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POINTS FORTS STREET TWIN | ||
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POINTS FAIBLES STREET TWIN | ||
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