MNC a profité des fêtes de fin d’année pour s’entretenir avec un sacré personnage, tout de rouge vêtu. Non, pas le père Noël... Hervé Poncharal, patron de l’écurie GasGas Tech3 en MotoGP et président de l’Irta ! Il se livre sur son partenaire KTM, ses rivaux Ducati et Yamaha, les courses Sprint, le spectacle et les chutes, la Moto2, le calendrier 2024, le Continental Circus et les pubs Herta, etc. Interview.
Moto-Net.Com : Bonjour Hervé, avez-vous reçu notre e-mail avec la série de questions ?
Hervé Poncharal : Oui parfaitement. J’ai vu que le dernier Scorsese, Killers of the Flower Moon, durait 3h26... Avec votre interview à mon avis, vous avez de quoi vous bastonner avec lui ! (rires)
MNC : Voyons ce qu’on peut faire en une heure, déjà. Tech3 accueillait une nouvelle marque en MotoGP en 2023 ! C’était une surprise pour nous... comme pour vous ?
H. P. : Alors, on n’a pas véritablement changé de crèmerie puisqu’on collabore toujours avec le groupe Pierer Mobility. On avait commencé notre association (en 2019, NDLR) avec la marque KTM et puis courant 2022, Pol Espargaro qui n’était pas hyper heureux chez Repsol Honda a recontacté Pit Beirer (directeur sportif du groupe autrichien, NDLR) en lui disant "ah, j’aimerais bien revenir, je n’aurais jamais du vous quitter", etc. C’est à sa signature que les "big boss" ont reconsidéré le fait d’aligner quatre KTM, de mettre leurs quatre œufs dans le même panier. J’avoue que ça a été une surprise pour moi, mais ça plaisait à Pol car il voulait être le "Captain" comme il disait, il aimait rouler pour une marque différente.
MNC : Cela ne change strictement rien d’un point de vue technique : vous alignez toujours deux RC16 identiques à celles du team KTM Factory ?
H. P. : C’était le principal ! Pour Tech3, l’opération est bonne car nous avons les mêmes machines bien évidemment, avec les mêmes spécifications et évolutions. Et en même temps, on ne passe plus pour les KTM n°3 et n°4, même si ce sont des RC16. On bénéficie d’une identité différente, visuelle bien sûr mais on est aussi plus latins, on fait rouler deux pilotes espagnols. Ça m’a donc séduit, sachant que ça venait des patrons et qu’ils géraient le marketing.
MNC : En terme de logistique cependant, ce changement n’était pas neutre...
H. P. : C’était lourd même, car il fallait changer l’intégralité des supports (box, vêtements, camions), préparation et design des motos. Mais on le fait quasiment tous les ans depuis qu’on est chez eux. On est très contents d’être les GasGas Factory, à côté des KTM Factory. La couleur rouge en plus, ça pète, c’est la course... On nous prend parfois pour des Ducati ! Petite anecdote à ce sujet : à la sortie de mon hôtel à Motegi, je me fais attraper par des japonais qui me demandent de signer sur un immense poster du team d’usine Ducati... J’ai eu du mal à leur expliquer qu’on n’était pas ces Rouges là !
MNC : GasGas n’est pas à proprement parler un nouveau constructeur. Ce n’était donc pas un palliatif au départ de Suzuki pour le championnat et son promoteur ?
H. P. : Absolument, nous ne sommes pas enregistrés en tant que constructeur : GasGas est une marque du groupe Pierer Mobility. Quelque part pour Dorna, GasGas est un sponsor. Lorsque Augusto a terminé quatrième au Mans et meilleur du groupe, il a apporté 13 points au "constructeur" KTM. En ce qui concerne Suzuki d’ailleurs, leur place ne peut être récupérée que par une véritable usine.
MNC : En Moto3, KTM a délibérément choisi de distinguer ses marques.
H. P. : Effectivement, en Moto3 il y a KTM, Husqvarna, GasGas et même CF Moto. C’est un choix des dirigeants.
MNC : Est-ce que l’écurie française Tech3 redevient plus latine/méditerranéenne, moins germanique/autrichienne ?
H. P. : Honnêtement sur le plan de la communication, on les laisse faire pour jouer là-dessus. C’est un peu comme si au sein du groupe VolksWagen, nous étions Seat. Ce qui est clair, aujourd’hui en MotoGP quelque soit la marque et son origine (japonaise, italienne, autrichienne ou autre), c’est que la conception du prototype et son développement sont assurés par l’usine avec son Test Team, sur ses bancs d’essai au siège puis sur ses pistes d’essai. Nous, que nous soyons GasGas ou KTM (ou même à l‘époque chez Yamaha ou autre), Tech3 est une équipe d’exploitation. On n’a pas le droit de modifier quoi que ce soit sur la machine : chassis, aéro, électronique, moteur, on ne touche à rien. On se contente d’optimiser les réglages selon les spécificités du circuit et le style de nos pilotes.
MNC : Le rôle de développeur ne vous manque pas ?
H. P. : Développeur de moto, non. Mais j’aime développer les pilotes ! Quand on sait ce que représente une MotoGP... Penser qu’en 22 Grands Prix cette année (2024) donc 44 départs (sprint et course), on pourrait travailler sur le matériel et faire mieux que l’usine, c’est insensé. Chacun son métier, il y a une organisation qui est très bien rodée et huilée. On dispose de personnes "support" de l’usine à Mattighofen - ce sont les mêmes pour le team KTM Red Bull et notre écurie GasGas Tech3 – qui sont là pour noter tout ce qui se passe sur les circuits, remonter toutes les infos au service course où se trouvent les ingénieurs en développement. On leur dit ce qui va, où on aimerait être mieux, ce qu’on ressent et ce qu’il nous faudrait.
MNC : Les missions de Tech3 ont bien changé depuis vos débuts en Grands Prix, en 1990.
H. P. : Oui, et je ne suis pas du tout frustré parce que la course d’aujourd’hui, ce n’est plus celle où on taillait des pots de détente, on faisait des contre-cones... En 1995, Tech3 avait été le premier à faire la boite à air baptisée "boite aux lettres" sur la moto d’Olivier Jacque, on choisissait alors nos suspensions... La course a beaucoup évolué.
MNC : Elle ne manque pas de piquant pour autant !
H. P. : Ah non, au contraire ! De toute façon, plus les niveaux de performance sont proches, plus les courses sont belles. C’est pour cela que la centrale électronique unique a été instaurée, que Michelin est le fournisseur exclusif de la catégorie reine, que les règlements techniques sont relativement serrés. C’est comme ça que les gars sur le podium se trouvent fréquemment dans la même seconde, alors qu’en se replongeant dans les vieux bouquins à l’époque soit disant glorieuse des Rainey, Schwantz, Doohan &co, les écarts étaient bien plus grands, le peloton était à plus d’une minute. Et je ne parle même pas d’Ago qui mettait parfois un tour au deuxième. Cela n’arrive plus.
MNC : Vous ne faites pas partie de ceux qui considèrent que "c’était mieux avant" ?
H. P. : Ah non, je ne suis pas particulièrement nostalgique. Le passé, c’était génial, mais il faut vivre avec son temps ! Je pense que si on diffusait aujourd’hui des courses d’il y a 20, 30 ans, beaucoup déchanteraient.
MNC : La page du Moto2 est définitivement tournée pour Tech3 ?
H. P. : Il y a une chose qui me fait parfois doucement rigoler. Les gens qui disent : "bah, il n’y a plus de diversité", sont les mêmes qui génèrent ce phénomène. Fut un temps où il y avait des suspensions Kayaba, Showa, Öhlins, WP (White Power à l’époque), etc. Sauf que lorsque quelqu’un gagne avec un composant technique (suspensions, pneus, freins, ce que vous voulez), tout le monde veut le même car il estime que cet élément permet de gagner. Les gens ne se disent pas que les pilotes ne sont pas tous au même niveau ! Je me rappelle que Honda a très longtemps roulé avec Showa. Mais quand Valentino Rossi a gagné avec des Öhlins, un espagnol qui n’était pas très grand (je ne vais pas le nommer) a fait le forcing pour obtenir le même matériel. Mais ils n’ont pas gagné pour autant !
MNC : C’est le même phénomène en Moto2 ?
H. P. : Exactement. La première année en 2010, on comptait 13 châssis différents, dont Tech3. On s’était lancé avec notre châssis, notre aéro, les suspensions Kayaba car on avait de super relations du temps des Honda et Suzuki 250. Notre "Mistral" ne marchait pas si mal, puisqu’on avait remporté le GP à Barcelone avec Takahashi. Mais Elias a gagné le premier titre sur une Moriwaki, donc tout le monde voulait leur châssis, tout le monde ! "T’as pas une Moriwaki ? Alors je ne viens pas chez toi !". Donc les autres teams galéraient pour trouver de bons pilotes. L’année d’après, c’était Suter (Marquez et compagnie). Rebelote : "T’as pas une Suter ? Alors je ne viens pas chez toi !". Petit à petit, certains se sont fatigués car ils avaient beau avoir un bon châssis, ils ne dégotaient pas les meilleurs pilotes, donc les résultats baissaient, les sponsors se taillaient. Chez Tech3, on aura quand même tenu neuf ans. Mais on s’est usé.
MNC : En Moto2 actuellement, on frise la coupe monotype avec le moteur Triumph, le châssis Kalex, les suspensions Öhlins, les freins Brembo, etc.
H. P. : Heureusement qu’il y a notre ami Luca Boscoscuro qui fait de la résistance, comme le petit village gaulois d’Astérix et Obélix, car face à Kalex, tous les autres ont baissé les bras. Je félicite Mr Pierer, pas parce que c’est mon partenaire mais vraiment parce que je le pense, et je vous livre un petit scoop : les machines de Moto2 du groupe Pierer Mobility utiliseront cette saison (2024) des suspensions WP ! Et ce seront les seules car toutes les autres machines seront en Öhlins. Or je n’ai rien contre les suédois qui font de super suspensions, je ne porte pas de jugements de valeur ou de compétence, mais comme vous m’interrogez sur la diversité du plateau Moto2...
MNC : Le MotoGP ne tombe-t-il pas dans les mêmes travers ?
H. P. : C’est là que je tire à nouveau et sincèrement mon chapeau à Stephan Pierer, car lorsqu’il est arrivé, les gens ont doucement rigolé et je les ai entendu lui dire : "mais avec tes châssis en tubes de chauffage et tes suspensions WP, tu n’y arriveras jamais mon pote ! Tu dois faire un châssis alu comme les autres et monter des suspensions Öhlins". Il leur a rétorqué que "l’ADN de KTM c’est un chassis tubulaire en acier et mes suspensions ce sont les WP, donc on va essayer comme ça". C’est un véritable capitaine d’industrie, qui n’a pas à rapporter à qui que ce soit mais qui a tout de même du résister à des pressions en interne (pilotes et techniciens). Il a tenu bon et aujourd’hui, les KTM (et GasGas) sont les seules protos à disposer de ces types de châssis et suspensions.
MNC : Il faut donc essayer les freins Nissin ?!
H. P. : Ah... oui. On les avait sur nos motos 250 avec Olivier Jacque, notamment.
MNC : C’est aussi en se différenciant qu’on peut acquérir un avantage parfois déterminant...
H. P. : Ah bah ça, je suis tout à fait d’accord. Et à une autre époque, il y a avait des pneus Michelin qui étaient meilleurs dans certains secteurs, les Bridgestone dans d’autres. Mais cela représentait des budgets colossaux pour le développement et ça nous a incité à choisir un manufacturier unique, ce qui est beaucoup mieux pour la course. Donc oui, on a les mêmes pneus, la même électronique... mais encore une fois, ceux qui se plaignent de cette uniformisation sont les premiers à tirer sur certains qui jouent sur la bordure du cadre légal.
MNC : Ducati est devenu un spécialiste dans l’interprétation du règlement.
H. P. : Voilà un autre homme à qui je tire mon chapeau, mais beaucoup le font déjà : Gigi Dall’Igna ! On se souvient tous du fameux épisode où il arrive avec la cuillère sous la moto au Qatar. On se rappelle des interrogations posées sur sa légalité, puis des réclamations déposées. Or cet appendice a été validé, moralité : tout le monde l’a adopté ! Idem avec les premiers ailerons : "oh lala c’est horrible, c’est illégal, c’est la Formule Un, ça ne sert à rien, c’est dangereux, les pilotes vont se couper", etc. Tous les prétextes étaient alors bons. Sauf que ceux qui étaient dans le bon, c’étaient les bolognais ! Car les autres qui attendaient le verdict des autorités et espéraient que ces évolutions - qui vont dans le sens du temps - sautent, ont stagné ! Pendant quasiment une saison.
MNC : Les japonais, car c’est bien d’eux qu’il est question, n’ont pas pris un train de retard, mais deux...
H. P. : Je vous laisse tirer vos propres conclusions car ce qu’on confie aux journalistes prend parfois de ces proportions... Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que les ingénieurs bossent dans un cadre prédéfini. Mais si on reste en plein milieu, on ne progresse pas beaucoup, ni vite. Le but est de se trouver toujours au ras des clous, ce que les anglais appellent être "border-line". Car c’est là que les gars de Ducati - mais les européens en général car ils se bougent aussi chez Aprilia et je peux vous dire que chez KTM c’est pareil - font la différence actuellement. Comme un pilote sur la piste, un constructeur doit faire preuve d’envie, de courage et parfois d’audace. Le pilote retarde ses freinages, plus tard, plus tard, trop tard... hopopop il croise les skis, il n’ira pas plus loin ! On progresse moins vite à rester dans sa zone de confort, c’est certain.
MNC : Repassons à Tech3. Certains fans ne sont pas un peu perdus dans la mesure où vous portez les couleurs de GasGas en MotoGP, mais de KTM toujours en Moto3 ?
H. P. : (Sourire) Oui, c’est vrai. Et justement, quand Alonso gagne avec son team Aspar, je reçois des félicitations ! Les gens sont comme vous le dites, un peu perdus. Mais Aspar était GasGas avant nous. Certes chez Tech3, les équipes Moto3 et MotoGP font partie de la même société, on est tous ensemble. Mais niveau communication et visuel, on est différents et ça ne nous pose pas de problèmes. En Moto3 on est Red Bull KTM depuis un certain temps (2020, NDLR), et avec le team Ajo, on représente un peu le prolongement de la Rookies Cup. Donc ça fait sens. Les leaders du Moto3 (Acosta puis Masia, maintenant les Holgado, Oncu, Rueda et tout ça) sont des pépites qui sortent de la Rookies et transitent en Moto3 en gardant les couleurs Red Bull KTM.
MNC : En termes de sponsors, le fait d’être affilié au groupe Pierer vous apporte une certaine sérénité ?
H. P. : Oui, oui, oui. Encore une fois, j’observe et je ne porte pas de jugement... J’aime tout le monde ! On a travaillé avec Honda - j’ai même été salarié Honda France une dizaine d’années quand j’étais tout jeune -, on a roulé avec Suzuki Lucky Strike ("roulé avec Lucky Strike" huhuhu, NDLR), on a bossé vingt ans avec Yamaha en 250 où on a été champions du monde, puis en GP500 et MotoGP où on s’est régalé, on a eu des moments super. Je ne suis pas là pour cracher dans la soupe et dire du mal de qui que ce soit. Simplement, je constate qu’avec mes partenaires précédents je signais des contrats de un ou deux ans, or c’est difficile dans ces conditions de ne pas avoir davantage de visibilité pour piloter une boite. Quand j’ai débuté avec KTM, c’était pour trois ans, du jamais vu ! Suite à ce contrat 2019-20-21, on a prolongé pour cinq ans de 2022 à 2026. C’est génial pour un patron qui doit gérer son entreprise, car il peut se projeter avec ses partenaires et sponsors, anticiper les coûts, etc.
MNC : Le groupe Pierer est également remarquable de dynamisme, il est présent dans toutes les catégories, et soutient même son antichambre Rookies Cup !
H. P. : Exactement, ils sont à la base de cette Rookies et sont aussi présent en FIM Junior Moto3. Donc leurs teams en Mondial bénéficient de l’arrivée de toutes ces pépites. Or c’est Rossi qui a fait la force de Yamaha pendant des années, puis Marquez a fait de même pour Honda. Pourquoi est-ce qu’on a Acosta cette saison ? Uniquement grâce à la filière KTM.
MNC : Il y a même embouteillage car Binder et Miller sont aussi de purs produits KTM ! Mais c’est un "problème de riches"...
H. P. : Oui sauf que l’expression "problème de riches" ne doit pas laisser entendre que KTM est plus riche que les autres. Yamaha, deuxième constructeur mondial de deux-roues motorisés, n’aligne que deux motos en Grand Prix moto, uniquement en catégorie reine. OK, ils réinvestissent un peu via la VR46 Pages Jaunes, mais bon. Mais quand on dit qu’il y a trop de pilotes chez KTM Red Bull...
MNC : ... on dit ça pour taquiner !
H. P. : J’entends bien, et vous n’êtes pas les seuls. C’est pour ça que KTM voulait plus de places en MotoGP ! Faut admettre que quand ils font monter les échelons à Acosta, un peu comme à Binder avant lui, ils ont un peu les boules de devoir le laisser partir chez les concurrents.
MNC : Après tout, Ducati occupe bien huit places sur la grille.
H. P. : Ducati c’est différent. Ils ont une moto super donc les teams indépendants font comme vous quand vous faites votre marché : vous prenez les pommes, les poires, les pâtes qui vous semblent offrir le meilleur rapport qualité/prix. Gresini, VR46, Pramac ou autres, savent que les Desmosedici sont les meilleures machines, qu’elles attireront les meilleurs pilotes. Or Ducati est absent de toutes les autres classes (hormis le championnat parallèle MotoE qui se fournit aussi à Bologne, NDLR) ! Mais ils ont eu une approche diamétralement opposée au sujet des équipes supports que certains constructeurs qui les considéraient encore récemment comme des poids. Ils avaient la sensation qu’on était des casse-bonbons, d’éternels insatisfaits : "bonjour, vous n’avez pas une moto pour nous ? Ah mais c’est trop cher ! Ah mais c’est une moto d’il y a deux ans ? Ah mais vous nous nous bridez de 1000 tr/min pour économiser les moteurs ?" On n’était pas bien perçus, ni valorisés. Vu les relations qui se nouent avec Ducati, Aprilia ou KTM, nos amis japonais vont peut-être changer d’avis sur la question. Les teams indépendants ne sont pas uniquement là pour remplir la grille, et indirectement ralentir ou déconcentrer les usines, mais bien pour les aider, par le recoupement des données. C’est aussi comme ça que Martin ou Bezzecchi ont joué le championnat avec Bagnaia, et que l’un d’eux intégrera l’équipe Factory en 2025. Attention, je n’en sais rien, ce n’est pas une exclu ! Statistiquement aussi, plus on fait rouler de pilotes, plus on a de chance de dégoter la perle.
MNC : Le MotoGP a connu une révolution cette année avec les sprints du samedi. Qu’est-ce que le fan Hervé Poncharal en pense a posteriori ?
H. P. : Je ne suis pas du genre à retourner ma veste toutes les cinq minutes. J’ai toujours dit que j’étais fan, franchement. Quand on aime les sports mécaniques, ce qu’on veut voir c’est des courses. Le principe était de ne pas faire plus de kilomètres qu’avant : on roulait autant sur un week-end 2022 qu’en 2023. Après je reconnais qu’un Sprint est plus stressant qu’une séance FP4. Mais il n’y avait rien de plus ennuyeux que cette séance d’essais libres du samedi après-midi, sans grand enjeu, si ? Elle tombait après les qualifications et le déjeuner, je comprends ceux qui allaient piquer un roupillon ! Donc quand Dorna a présenté le projet, j’étais preneur. Pendant l’hiver, on a écouté des team managers et des pilotes qui s’y opposaient, car on est en démocratie et je trouve que cela reste le moins mauvais des systèmes. Bref. Aujourd’hui, quand vous interrogez la plupart des médias et des fans surtout - que je vois ou qui m’écrivent -, tous s’accordent à dire qu’il n’y a jamais eu autant d’audience sur les chaînes TV le samedi, jamais eu autant de monde en tribune. C’est devenu très excitant avec la Q1, la Q2 et le Sprint !
MNC : En caricaturant, n’est ce pas aussi plus excitant en raison de la casse supérieure ? Comme au Nascar, certains spectateurs attendent le "big one", le "strike"...
H. P. : Je pense que les vrais fans, la grande majorité des gens qui nous suivent ne cherchent pas le strike. Ils assistent au Grand Prix ou le regardent pour la course, pour la bagarre évidemment mais pas plus.
MNC : Les fans de MotoGP sans doute pas, mais les nouveaux téléspectateurs qui tombent par hasard sur le programme peut-être ?
H. P. : Moui, oui. Il y en a certainement mais le trait est très grossi, je pense. Il y a toujours des gens qui regardent le décollage d’une fusée en pensant qu’elle va peut-être exploser (rires de MNC). Non mais c’est vrai, ou guetter un train en se disant qu’il va dérailler, bon. Mais je pense pas que ce soit la majorité quand même (rires). Ce que je veux dire c’est qu’effectivement, un départ c’est chaud. Surtout sur une épreuve qui fait moitié moins de tours que la course principale, la position à l’issue du premier tour est cruciale.
MNC : La prise de risques est plus grande, les blessures plus nombreuses, on l’a vu.
H. P. : Toute ma vie, et c’est pour ça que j’ai fait partie des créateurs de l’IRTA (International Road-Racing Teams Association, fondée en 1986 et porte-parole des écuries engagés en Grands Prix moto, NDLR) et que j’en suis aujourd’hui encore le président, on s’est battu pour plus de sécurité. On a arrêté de se rendre sur des circuits dangereux, on s’est battu pour en rendre d’autres plus sûrs, on a agrandi les dégagements, installé des air-fences, etc. Il faut se souvenir qu’à mes débuts dans les années 70/80, on perdait un copain quasiment chaque week-end. Je me suis alors sérieusement demandé "c’est quoi ce job, tu vas continuer à faire ça ?" Je ne suis jamais allé au Tourist Trophy et je n’irai jamais. Ok les gars y vont d’eux-mêmes, personne n’est contraint, mais ça me hérisse le poil. C’est ce contre quoi on s’est toujours élevé ! Enfin bref. Par nature, la moto est un véhicule instable et oui, quand on attaque, on risque la chute. Le départ est un moment intense, qu’on peut qualifier de magique, mais où ça peut frotter, c’est clair. Oui, Luca Marini s’est accroché avec son coéquipier en Inde, il s’est fait une clavicule...
MNC : ... et votre cher Oliveira (auteur de la première victoire Tech3 en MotoGP) s’est fait harponné au premier GP chez lui à Portimao !
H. P. : J’aime beaucoup Miguel d’ailleurs. Oui, c’est vrai, mais c’était au départ de la course, pas du Sprint.
MNC : Un point pour vous. Reste qu’en multipliant les départs par deux sur une saison...
H. P. : Je ne vais pas nier cette statistique. Mais comme je le disais plus tôt : ce qui intéresse les fans ce sont les courses, et les sports mécaniques en général, la moto en particulier, sont des disciplines dangereuses. Quand les courses sont serrées, c’est plus risqué aussi. Au final, si on pèse les éléments pour et les contre, la course moto y gagne. Même pour notre rookie 2023 Augusto Fernandez (le seul de l’année), c’était bénéfique. On avait toujours du mal à la Sprint, et ça allait toujours beaucoup mieux le dimanche. Pourquoi ? Comme on débute, il y a plein de choses qu’on apprend le samedi après-midi, sur le choix de pneu, la gestion de l’effort, la stratégie, etc. Les détracteurs trouveront plein d’arguments pour défendre leur point de vue, il n’empêche que j’aime le planning 2023 car je trouve que les week-ends sont nettement plus excitants. Et 100 % des fans qui viennent me voir sur les Grands Prix, qui m’écrivent ou m’appellent, je ne vous mens pas, 100 % me l’ont dit. Je ne dis pas que 100 % des gens qui sont sur les circuits sont de mon avis, mais bien ceux qui m’ont parlé, c’est différent. Il y a même des pilotes ou managers qui critiquaient ce format l’hiver dernier qui reconnaissent qu’ils se sont trompés, que c’est super.
MNC : Il reste des mécontents ?
H. P. : Il y a surtout un autre problème. En 2024, on doit avoir 22 week-ends de course et 44 départs.
MNC : On allait y venir. Est-ce que 22 GP par an, c’est raisonnable, soutenable ?
H. P. : Alors Matthieu, on est de grands garçons : les patrons de Honda, Yamaha, Suzuki à l’époque, de Pierer Mobility, Ducati, Aprilia signent des accords qui courent sur cinq ans. Le précédent allait de 2017 à 2021, et quand on a commencé à discuter ensemble en 2019-2020 sur l’actuel contrat, la MSMA qui est l’association des constructeurs a signé un accord qui validait un nombre annuel de Grand Prix "Up to twenty-two". C’est à dire que, le cas échéant, si on trouve 22 organisateurs, on va jusqu’à 22 GP. Les marques ont signé des deux mains, des deux pieds. Côté Irta, je suis bien placé pour le savoir, on a fait un tour de table avec Cecchinello, Pramac, VR46, Gresini, Razali... On a tous signé aussi. À cause du Covid, on n’a disputé que 15 Grand Prix en 2020, puis 18 en 2021. En 2022, la Finlande a sauté donc on a eu 20 GP, en 2023 pareil avec l’annulation du Kazakhstan. Le calendrier provisoire 2024 compte 22 dates, avec le retour d’Aragon et la reprogrammation du Kazakhstan. Alors il ne faut pas jouer les vierges effarouchées : ce n’est une surprise pour personne ! De son côté, Carmelo Ezpeleta a des comptes à rendre aux propriétaires de Dorna : "Up to 22", ça veut bien dire que si on peut en faire 22, on en fait 22.
MNC : C’est du côté des pilotes que ça coince parfois ? Les saisons sont plus longues et rudes.
H. P. : Ah mais es pilotes, ils sont contractés par des teams et des usines. Et puis pour la crème des pilotes, les salaires au tour restent pas mal ! Mais c’est notre société qui veut ça : les gens en demandent toujours plus. On recherche une croissance infinie, dans un monde fini ! On n’en est pas aux revenus du foot ou de la Formule Un (de la boxe, du basket américain ou du golf, NDLR !) mais certaines sommes deviennent très significatives. Et quand vous lissez cela sur 15 ou 22 épreuves, ce n’est pas pareil. Surtout si on s’aventure en Inde ou en Indonésie qui sont des marchés clé pour les constructeurs, et dont les retombées permettent de suivre les prétentions salariales des pilotes. On est donc tous liés.
MNC : Vous êtes aussi conditionnés par les médias ?
H. P. : Parfaitement. En 2022 par exemple suite à l’annulation du Kazakhstan, la pause estivale est passée à cinq semaines. Or un tel "break" pour un sport, c’est catastrophique car il faut alimenter sans cesse l’actu, sans quoi les spectateurs se connectent sur autre chose. C’est compliqué à gérer tout cela, c’est une grosse machine.
MNC : La réciproque est vrai, enchaîner trois GP de suite ce n’est pas plus simple.
H. P. : Là encore, on a demandé aux équipes l’an dernier : si on a six courses, vous préférez 3x2 ou 2x3 ? Car il y a quand même derrière une logique financière en termes logistiques, au niveau du fret... Ils ont répondu 2x3, et on l’appliquera à 2024. Mais cela pourra changer en 2025. En 2023 entre le Japon et l’Indonésie, il y avait quinze jours : certains pilotes et techniciens sont rentrés chez eux, d’autres ont passé un peu de temps à Bali ou Lombok pour s’acclimater, recharger les batteries. Ensuite on s’est rendu directement en Australie et on a eu la chance de pouvoir organiser des charters de l’aéroport de l’Ile de Lombok (à 15 minutes des hôtels) vers Melbourne près de Phillip Island. En cinq heures le lundi, le trajet était fait. On avait alors mardi et mercredi "off". C’était moins fatiguant qu’enchaîner deux dates en Europe, par la route ! Le pire étant d’alterner l’Indonésie / chez vous en Europe, puis l’Australie / chez vous, la Thaïlande / chez vous... À un moment vous devenez fou, physiquement vous ne tenez pas.
MNC : Pour la première fois en quatre décennies de Grand Prix, vous ne vous êtes pas rendu sur l’intégralité des Grand Prix cette année !
H. P. : C’est vrai, j’ai fait l’impasse sur l’Indonésie et l’Australie. Vous me direz que l’âge compte (rires) mais c’est l’équilibre qui n’est surtout pas simple à trouver. La problématique se pose surtout pour les gens qui ont un conjoint, des enfants ou une boite à gérer comme moi. Mais chez Tech3, j’ai des jeunes qui se régalent : ils sont partis après l’Italie mi-septembre, et ne sont rentré qu’après Valence début décembre. Quand vous avez 25, 30 ou 35 ans, sans attache particulière, que vous aimez les voyages et la nature, c’est super ! Les Grands Prix moto avant, on appelait ça le Continental Circus. Pourquoi ? Parce qu’on partait en camion, en voiture avec la caravane derrière, on roulait tous ensemble, on s’arrêtait avec les copains sur les bords d’un petit lac, on jouait de la guitare autour d’un feu de camp comme dans les pubs Herta, etc. Mais on partait six mois, sans moyen de revenir. Aujourd’hui, l’avion a cassé cette dimension. On veut le beurre, l’argent du beurre, et vous connaissez le troisième élément...
MNC : ... le sourire de la crémière ?
H. P. : Voaaalà ! Tout ça pour dire que tout n’est pas parfait, mais je peux vous garantir qu’on est à l’écoute. On est bien conscients que 44 départs par an, c’est sans doute la limite. Au-delà même pour certains : j’ai dans mon team deux personnes qui vont partir. L’un d’eux attend son premier enfant, il veut vivre pleinement ses deux premières années et je trouve ça tout à fait respectable. Il faut faire des choix, c’est la vie. C’est comme les "roadies", ces techniciens qui assurent les tournées de groupe de Rock. Ils choisissent une vie à part. Nous c’est pareil, sauf que le spectacle se déroule sur un circuit de vitesse moto.
MNC : Ce sera le mot de la fin pour cet entretien (bin oui, je dois aller chercher mes filles à l’école !). Il nous restait quelques questions sur les pilotes : on se rappelle ?
H. P. : Merci à vous. Vous avez mon numéro !
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Plateau : Les pilotes et leurs motos 2024
10 mars : GP du Qatar
24 mars : GP du Portugal
07 avril : GP d'Argentine (annulé)
14 avril : GP des Amériques
28 avril : GP d'Espagne
12 mai : GP de France
26 mai : GP de Catalogne
02 juin : GP d'Italie
16 juin : GP du Kazakhstan (reporté)
30 juin : GP des Pays-Bas
07 juillet : GP d'Allemagne
04 août : GP de Grande-Bretagne
18 août : GP d'Autriche
01 septembre : GP d'Aragon
08 septembre : GP de San-Marin
22 septembre : GP d'Inde (annulé)
22 septembre : GP Kazakhstan (annulé !)
22 septembre : GP d'Emilie-Romagne
29 septembre : GP d'Indonésie
06 octobre : GP du Japon
20 octobre : GP d'Australie
27 octobre : GP de Thaïlande
03 novembre : GP de Malaisie
17 novembre : GP de Valence