Le jeu de mot est facile mais vous en connaissez beaucoup vous, des pilotes moto hors-normes qui ont roulé en vitesse mondiale, dominé en endurance, brillé en courses sur route, tenté le Dakar... et le Tourist Trophy ?! MNC n’en connaît qu’un seul en France : Matthieu Lagrive. Interview en direct du TT !
Moto-Net.Com : Salut Matthieu, j’espère que tu as un peu de temps devant toi, on a pas mal de questions à te poser...
Matthieu Lagrive : Rrrhô nan, pas trop, pas trop (rires). Je suis à la maison là, je me repose après un début de Tourist Trophy un peu stressant : cela faisait deux jours que je m’occupais des motos car les mécanos n’ont pas eu leur avion. Les journées ont été chargées, compliquées. Hier en particulier car je suis parti en visière fumée sur les conseils de certains experts, mais quand tu ne connais pas suffisamment la piste, bah tu te retrouves dans un tunnel noir ! C’était très stressant, douloureux même sur le plan psychologique !
MNC : Ça devrait mieux se passer mieux avec nous... Avant de parler de l’Ile de Man où tu participes à ton premier "TiTi", revenons un peu sur ta longue et riche carrière ! Vitesse, Endurance, Course sur routes, et Dakar même. Dans quelle discipline t’es-tu le plus éclaté ? Dans le bon sens du terme.
Matthieu Lagrive : Je pense que c’est le Mondial Supersport. C’est ce que j’ai le plus pratiqué à un bon niveau, j’y ai obtenu des résultats intéressants, même si j’ai toujours préféré piloter les Superbike ! Je pense que les 1000 me convenaient plus, j’y ai d’ailleurs goûté un tout petit peu : en 2009, j’ai passé la moitié de saison sur Honda Fireblade et ça m’a plu. L’expérience a été bonne mais pas fructueuse. Toujours les mêmes problèmes économiques... C’est là que j’ai un peu commencé à me décourager.
MNC : Dans quelle discipline t’es-tu le plus fait mal ?
M. L. : Je me suis tout le temps fait mal (rires). Après, je pense que le milieu de la moto m’a plus fait mal moralement que physiquement. Les blessures, les pépins, je m’en sortais. Mais je suis quelqu’un de très sensible et j’ai toujours été très impacté par la difficulté à rouler, à réunir des budgets. Pendant des années, le Mondial d’Endurance (quatre sacres avec le SERT, NDLR !) m’a permis de financer le Mondial Supersport. Tu vis comme un clochard mais au moins t’assouvis ta passion.
MNC : Quels souvenirs gardes-tu de tes saisons 2002-2010 en World Supersport ?
M. L. : Le fait d’avoir tout tenté pour réussir. J’ai fait des sacrifices familiaux, financiers...
MNC : Tu gardes de bons souvenirs, des amis ?
M. L. : De bons souvenirs, oui. Des connaissances, aussi, mais pas d’amis. Je n’en ai pas vraiment dans le milieu de la moto.
MNC : Tu as aussi deux titres en IRRC (championnat international de courses sur route). Comment es-tu arrivé là ?
M. L. : Tout simplement parce que j’ai roulé pour un team tchèque en WSSP. Ils m’ont recontacté début 2018 pour participer à ce championnat... dont j’ignorais l’existence même, à l’époque. Je me suis rencardé sur internet et comme je n’avais pas grand-chose de prévu, je me suis lancé, vraiment par curiosité.
MNC : Tu as apprécié, au point de prolonger une seconde saison...
M. L. : ... et de tenter aujourd’hui l’aventure du Tourist Trophy, oui !
MNC : En 2012, tu avais tenté une autre grande aventure : le Dakar, comme Julien Toniutti ou James Hillier cet hiver. Tu as eu la même approche sur ces deux épreuves extrêmement exigeantes et différentes ?
M. L. : Oui un peu, car ce sont sans doute les deux plus dures au monde dans le sport moto. Mentalement, quand tu es totalement novice comme moi, c’est très dur car tu découvres tout, tu prends tout dans la gueule.
Bon, pour le Dakar, tu ne visionnes pas de vidéos. C’est de l’entraînement physique, et pour moi, c’était la découverte de l’enduro 10 mois avant le départ pour l’Amérique du Sud ! C’était intense du coup. J’étais prêt, mais c’est con, je me casse le pied sans chuter : c’est le truc le plus frustrant !
Tu abordes le TT différemment... Pile quand tu m’as appelé, je regardais encore une vidéo pour essayer de comprendre. Hier (mardi), j’étais complètement perdu, plus que la première journée mais c’est normal, parait-il ! Ça va tellement vite ! T’as beau voir des vidéos, faire des tours à moto ou en voiture, il te manque la vitesse, ces arbres qui défilent, ces points de repères trop nombreux et parfois imperceptibles... Tu ne peux pas tout assimiler ! Quand tu sais que la moindre erreur se paye cash... Je veux vraiment être sûr de moi avant de poser mon pilotage.
MNC : En guise d’échauffement, tu as participé à la North West 200. Comment s’est passé ton baptême ?
M. L. : Je n’ai pas été très surpris. Cela faisait quatre ans que je n’avais plus roulé sur route, et en dehors des courses d’Endurance, je ne roule plus non plus. Donc même si je garde mes acquis d’un point de vue technique, il faut retrouver ses automatismes, se réacclimater visuellement, physiquement. Il faut remettre en route le cerveau, le processeur pour qu’il puisse à nouveau gérer un tas de paramètres. La NW200 ça a pris un peu de temps, car j’ai aussi pris mon temps. En course, je laissais les mecs partir devant car ça m’emballait moyen de me battre à 300 km/h de front (rires). Je préfèrais être tout seul, tranquille, à faire mon truc, me concentrer en vue du TT, essayer de me faire deux motos confortables. Je n’y étais pas pour la performance. Idem pour le TT. Les trous du cul qui me cassent les couilles pour brancher le chrono et me comparer aux autres français, j’en ai rien à foutre ! Je ne suis pas là pour écrire mon nom sur des tablettes, je m’en cogne.
MNC : Tu prends du plaisir malgré l’ampleur de la tâche ?
M. L. : Oui de temps en temps, tu ressens quelque chose... Mais il y a encore trop de paramètres à gérer. J’ai besoin de me poser, de rester zen, de tout placer bout à bout tranquillement.
MNC : C’est Richard "Milky" Quayle qui te guidait pour tes premiers tours de roue au TT. Quels "tips" t’a donnés ce chic type que MNC avait côtoyé sur le mémorable lancement de la GSX-S1000F ?
M. L. : Oui il est gentil, top. Il est dans son jardin ici, c’est un pur Mannois. Mais t’as beau essayer d’emmagasiner toutes ses astuces, ça arrive tellement vite qu’à un moment tu perds le fil (rires). Merci mais il en faut des tours pour appliquer ce qu’il dit ! Il paraît que ça demande trois ans. Donc c’est pas en deux jours que je vais tout synthétiser !
MNC : Parlons un peu de tes motos. Tu dis que la R1 - que tu pilotes en ce moment en EWC - n’est pas très adaptée au TT ?
M. L. : Je connais bien la R1, oui. Mais la configuration d’une moto sur ce genre d’épreuve n’a rien à voir. Je suis arrivé sur la North West avec une config de piste que je connais un peu... ça ne fonctionnait pas du tout ! Ici ça tabasse tellement, faut des motos onctueuses qui puissent encaisser des bosses, être stables, mais aussi supporter de grosses compressions. Pour moi, la R1 demande une connaissance parfaite du tracé pour être exploitée convenablement. Ce n’est pas une moto pour novice, surtout pas.
MNC : Et encore, on se souvient qu’en 2015 Michael Dunlop avait délaissé la R1 en cours de semaine !
M. L. : Ah bah je comprend très bien pourquoi.
MNC : Pas de problème sur la R6 en revanche, c’est une moto ultra aboutie et compétitive ?
M. L. : La petite Yamaha reste pour le coup la meilleure des 600cc actuelles ! À partir de là si tu n’y arrives pas, ce n’est pas de la faute de la moto mais du pilote.
MNC : Petite parenthèse en passant, tu as été l’un des rares à piloter une R7 en compétition. La "vraie" R7 de l’an 2000, pas celle de 2021 ! Ça donnait quoi ?
M. L. : Je peux effectivement te confirmer que les deux R7 n’ont rien à voir, car mon fils a roulé l’an dernier avec la nouvelle ! De mon côté, j’ai plus ou moins débuté l’Endurance sur la première R7, entre 2001 et 2003. C’était la dernière "sept-et-demi" à se battre contre les 1000 : rigide, précise, agressive, sympa à rouler mais qui ne pardonnait pas les erreurs de pilotage. Un super souvenir !
MNC : Comment trouves-tu l’ambiance dans le paddock du Tourist Trophy ?
M. L. : Plutôt cool car chaque pilote sait à quoi s’en tenir... Il y a un grand respect mutuel, tout le monde est bienveillant. Je connaissais personne et plein de gens viennent me voir, prennent de mes nouvelles.
MNC : Le public a accès partout. Ce n’est pas perturbant, pour la concentration ?
M. L. : Le paddock est complètement ouvert mais tous les fans sont super respectueux. Pareil en bord de piste, où ils sont très, très proches de nous mais font bien attention. On sent de manière générale que cet événement est une belle machine bien huilée.
MNC : Et tu as passé une paire de semaines de "vacances" sur l’Ile de Man, après la NW200. Tu as apprécié ?
M. L. : Ah oui, tous les jours je faisais un petit repérage sur le tracé et j’en ai profité pour visiter un peu. Il y a de beaux paysages, belles cascades, belles plages, des animaux, un peu de tout ! Il n’y a que les ports... Je viens de Normandie donc j’aime bien les ports : je peux te dire qu’ils ne nous arrivent pas à la cheville. Nos ports sont bien plus beaux ! (rires)
MNC : Que pensent tes proches de ta passion pour la compétition moto ? Et pour les courses sur route ?
M. L. : La compétition moto en général, ça ne posait pas de problèmes car mon père est un ancien pilote. Il ne "pense" rien, il connaît très bien le sujet. Mon frère a fait de la moto, ma sœur a fait de la moto, mes enfants en font... En revanche, quand j’ai annoncé que je faisais le TT, euh bon (rires). Ma mère a eu du mal à y croire, elle pensait que je blaguais. Mon père a toujours respecté mes choix. Mon frère ne m’en a pas parlé car je sais qu’il n’approuve pas. Mais je les emmerde !
MNC : Ils n’assisteront pas aux courses ?
M. L. : Non, non. Il y a du boulot, une entreprise familiale (la briqueterie Lagrive, près de Lisieux dans le Calvados, NDLR) qui fonctionne bien. Faut faire tourner la machine là-bas aussi.
MNC : Enfin, y a t-il des disciplines sportives qui t’impressionnent, au point de te les interdire car elles te paraissent trop dangereuses ?
M. L. : Oui, le motocross m’impressionne beaucoup. Dans le deux-roues, le rallye m’impressionne aussi. Et en dehors il y a le Curling ! Laisse tomber quand je regarde les épreuves des Jeux Olympiques, calé dans le fond de mon canapé, je trouve ça dingue, je prends de ces décharges d’adrénaline...
MNC : Merci Matt pour le temps accordé. Travaille bien, amuse-toi... Keep Calm & Ride Fast !
M. L. : Ca va aller, je te remercie !
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