Jacques Sicherman, ingénieur des Ponts et chaussées basé à Metz, a présidé la mission interministérielle sur le contrôle sanction automatisé qui va permettre de mailler le réseau routier de radars numériques automatisés d'ici le 1er novembre. Interview.
En tant qu'ex-président de la Mission interministérielle sur le contrôle sanction automatisé, Jacques Sicherman est le père du réseau de radars numériques automatisés qui sera déployé sur tout le territoire à partir du 1er novembre (lire Moto-Net du 13 juin 2003).
Alors qu'il quitte la Mission pour des raisons "géographiques et personnelles", il livre à Moto-Net le fruit de son expérience"sans le moindre problème de conscience".
Moto-Net : quel bilan tirez-vous de votre présidence de la Mission ?
Jacques Sicherman : très positif ! C’était une sorte d’opération commando au démarrage, car il fallait lancer en quatre mois un système qui reposait sur des pré requis assez complexes. Tout a très bien fonctionné, malgré la multiplicité d’acteurs internes et externes à l’administration et de nombreuses tâches à accomplir simultanément... Les membres de la mission pouvaient avancer seuls sur le noyau même du système, c’est-à-dire le montage des systèmes d’information, mais toutes les administrations concernées ont dû s’impliquer, notamment les services de la Chancellerie et des Finances pour les analyses juridiques et l’insertion dans le système judiciaire. Il faut que ce soit maintenant une structure plus stabilisée dans le temps qui gère le projet, car il y a encore beaucoup de choses à faire. Une équipe de projet pérenne a été mise en place, avec comme directeur de projet un homme issu du ministère de l’intérieur, Raphaël Bartolt (ancien conseiller du socialiste George Sarre aux Transports et ex-directeur de campagne présidentielle pour Jean-Pierre Chevènement, NDLR). C’est une équipe propre à ce projet, qui rendra compte à un comité de pilotage présidé par Rémy Heitz. La présence de M. Bartolt a été capitale au cours du premier semestre. C’est quelqu’un qui connaît le sujet.
Moto-Net : êtes-vous le père de Big Brother ?
Jacques Sicherman : alors là, vraiment pas du tout ! Je n'ai pas le moindre problème de conscience de ce point de vue car on est entièrement resté dans le cadre des réglementations sur la limite de durée de conservation des données. On suit la règle de base pour les amendes, qui n'a pas été changée même s’il est vrai que le contrôle va être renforcé. On estime que la probabilité d'être contrôlé va être multipliée par 20 d'ici la fin 2005. Mais honnêtement, un chauffeur de train SNCF est contrôlé en permanence car il a une responsabilité considérable en matière de sécurité. Là, les gens sont contrôlés beaucoup moins souvent ! Le fait de prendre un véhicule, c'est assumer une responsabilité vis-à-vis des autres. Le fait que cette responsabilité soit contrôlée ne me choque pas du tout. Par ailleurs, la CNIL (Commission nationale informatique et libertés, NDLR) est très à cheval sur la protection des données personnelles. On n'enverra donc pas les photos spontanément. Il faudra venir les voir sur place et on s'arrangera pour que les personnes autres que le chauffeur n'apparaissent pas, comme l’a souhaité la CNIL. En outre, quand on voit ce que l'augmentation des contrôles ces derniers temps a apporté comme sérénité nouvelle sur les routes, je pense que ça vaut le coup.
Moto-Net : pourquoi mettre en place un système aussi clairement antivitesse ?
Jacques Sicherman : pour le moment on n'a travaillé que sur la vitesse dans la mesure où c’était le seul domaine à bénéficier d’homologations, car elle est basée sur des systèmes de mesures. Mais on a aussi jeté les bases d'un travail futur sur d'autres domaines, qui seront dans l'ordre : l'interdistance en tunnel à deux voies, dont les conditions d'homologation devraient être écrites à la rentrée, le respect des feux rouges d'ici la fin de l'année, puis le contrôle des voies de bus. Comme il ne s'agit pas de systèmes de mesures faisant l'objet d'homologations mais de constats, on a poussé un peu pour les feux et le reste pourrait suivre rapidement. Le plus difficile sera sans doute l'interdistance généralisée. A mon avis, on pourrait s'orienter vers un système qui ne sera pas totalement automatisé : il faudrait qu'un agent de police judiciaire puisse sur son écran, simplement en appuyant sur une touche, valider la situation. Dès qu'il y a une possibilité de dépassement, il faut voir les événements car vous pouvez être très près du véhicule devant vous simplement parce qu'il vient de vous faire une queue de poisson. C’est une situation très difficile à gérer de manière entièrement automatique. Une réflexion supplémentaire va prendre quelques mois de plus, mais le mouvement est lancé.
Moto-Net : mais alors, pourquoi ne pas appliquer le même raisonnement à la vitesse, dont la dangerosité dépend elle aussi directement des conditions ?
Jacques Sicherman : si vous allez par là, on peut aussi dire que de nuit, quand il n'y a personne, il n'est pas dangereux de prendre les sens interdits.
Moto-Net : ben oui ! Pourquoi toujours nier aux gens le moindre libre-arbitre ?
Jacques Sicherman : Mais alors ça devient totalement ingérable ! On sait que globalement la vitesse est dangereuse, donc la gestion sous la forme d'une limitation homogène me paraît être une bonne chose, sauf peut-être pour les constructeurs de grosses voitures allemandes... En outre, vous êtes toujours maîtres de choisir votre vitesse alors que pour les interdistances il y a des moments où vous n'êtes pas responsables de leur non respect.
Moto-Net : pourquoi ne pas essayer de voir les choses de manière plus objective concernant la vitesse ? Dans certaines conditions, rouler à 200 km/h est parfaitement sans danger !
Jacques Sicherman : non, je ne crois pas qu'un 200 km/h puisse être sans danger. J'ai travaillé en Allemagne et j'avais à l'époque une très grosse voiture. Une nuit je suis rentré à 240 km/h. Eh bien je peux vous dire que c'était fou, j’étais obligé de ralentir dans les virages et j'ai vite repris mes esprits. C'est un miracle que je n'ai pas eu d'accident.
Moto-Net : on peut aussi éviter tout accident en évitant le moindre mouvement ! Le risque zéro est-il le nouvel credo de la politique française ?
Jacques Sicherman : on sait depuis Kant que les raisonnements purs ne permettent pas d'aboutir à des conclusions certaines en dehors des études expérimentales et statistiques sur la réalité des choses. Or, toutes les études montrent que lorsque la vitesse baisse, le nombre d'accidents baisse et ils sont moins graves... Il y a une vingtaine d'années, lorsque j'étais directeur départemental de l'équipement en province, le gouvernement de l'époque avait pris des arrêtés interdisant presque la circulation des poids-lourds. Et j'avais fait remarquer que la solution la plus simple pour éliminer tout risque était d'interdire toute circulation ! C'est clair que le risque zéro n'existe pas, simplement là ce n'est pas un dérapage vers le risque zéro mais une évolution vers l'élimination des risques qu'ont peut éliminer compte tenu du fait que vivre c'est un risque...
Moto-Net : la vitesse limite des voitures est plus élevée que celle des poids-lourds. Pourquoi ne pas appliquer le même raisonnement aux motos ?
Jacques Sicherman : vous m'avez déjà posé la question et ça m'a conforté dans mon envie de passer le permis moto. Sauf que pour des raisons de temps, ça ne sera encore pas pour tout de suite... C'est vrai qu'il n'y a pas plus de points communs entre une voiture et une moto qu'entre une voiture et un camion. Et vous avez raison, il ne serait pas idiot de faire une analyse spécifique du problème de la vitesse pour les motos, indépendamment de l'approche qu'on a pour les voitures. Mais les analyses statistiques sur les motos sont plus compliquées car les échantillons sont plus faibles. Mais je vais me renseigner, car c'est vrai que ce serait intéressant !
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