Triumph a battu l’an dernier son record de ventes en France et bouclait le Top Four des constructeurs de motocycles. Moto-Net.Com s’est rendu au sud de Paris pour interroger la concession de Montlhéry (91) sur sa propre année 2022, le premier semestre 2023 et l’avenir (LOA, CT, ZFE, etc!). Interview.
Moto-Net.Com : Comment s’est passé l’an 2022 au global pour vous ? Était-ce une année record comme Triumph, n°4 des ventes de motocycles en France avec pas loin de 11000 immats ?
Karla Paucar, gérante de Triumph Montlhéry : Le "bilan 2022" est très bon, mais il faut préciser que l’exercice chez Triumph court de juillet à juin. Donc nous venons tout juste de finir notre année 2022/2023 et sur l’ensemble, nous avons réalisé de nombreuses ventes, les chiffres sont bons.
MNC : Quel est votre bilan sur le premier semestre 2023 ?
K. P. : Il est globalement bon mais si on ne prend en compte que le dernier trimestre (avril-mai-juin, qui bouclait notre bilan), c’est une catastrophe... L’activité a un peu repris en juin, ce qui nous a permis d’atteindre nos objectifs préalablement revus à la baisse. Mais sur les 12 derniers mois, nous sommes très satisfaits, toute la gamme a bien fonctionné. Nous vendons plus de roadsters et de trails à Montlhéry, plus de "Modern Classics" à Coignières (nouveau magasin ouvert en 2019, NDLR) car la clientèle est différente : plus jeune et sportive dans le 91, plus âgée et aisée dans le 78, pour caricaturer.
MNC : La crise due au Coronavirus modifie-t-elle votre activité, le type de véhicules vendus, le mode d'achat, etc ?
K. P. : On n’a jamais autant vendu qu’après le Covid. On a bien senti que nos clients qui ne pouvaient plus voyager comme avant (plus sortir de France pour les vacances notamment), ont alloué ce budget à d’autres loisirs et plaisirs. Les confinements et ce lent retour à la normale ont généré des économies que les motards ont investi dans une nouvelle moto. De notre côté, nous n’avions pas énormément de stocks, ce qui était cool pour la trésorerie. Les gens se sont montrés très patients, ils ont attendus.
MNC : Il n’y a pas eu de petits couacs, de clients déçus de ne pas pouvoir s’offrir la moto désirée ?
K. P. : Non car les clients comprenaient très bien notre situation. C’était pareil partout : dans le bâtiment, l’automobile, la restauration, etc. Nous arrivions donc à livrer les motos. Finalement, les soucis d’approvisionnements concernaient plus les accessoires, ce qui demandait aux clients de revenir un peu plus tard pour les installer.
MNC : La récente et importante inflation a impacté votre activité ?
K. P. : Là encore, je dirais que ce sont les ventes d’accessoires qui sont parfois touchées. Mais jusqu’à récemment, nous ne ressentions pas de baisse d’activité, bien au contraire !
MNC : D’autres freins vous ralentissent, comme les interdictions de rouler (ZFE) ? Montlhéry n’est pas encore touché, mais vos clients peut-être...
K. P. : Non, on ne l’a pas ressenti.
MNC : Est-ce que le contrôle technique suscite des questions voire des inquiétudes chez vos clients ?
K. P. : Je préfère passer la parole à nos commerciaux... Clément ?
Clément : Des questions oui, dans le sens où les gens ne savent pas trop ce qui les attend...
MNC : ... un peu comme nous !
K. P. : C’est le problème. Et puis il a été repoussé tellement de fois, ou mis de côté. Les constructeurs n’en savent pas plus, les garages qui gèrent le contrôle technique auto ne veulent pas investir, embaucher ou former des techniciens spécifiques.
Clément : Les marchands se méfient un peu plus sur leurs reprises, à ce que les motos ne soient pas trop modifiées pour ne pas se faire avoir lorsque le CT sera demandé.
MNC : Ressentez-vous que la taille modérée de Triumph et le fait qu’un seul homme soit aux commandes, vous aide à mieux traverser les crises (pandémie, pénuries de composants, transport depuis les usines en Thaïlande) ?
K. P. : J’imagine que pour la production, cela simplifie les choses. Et j’ai la sensation que la marque nous a bien épargnés. Peut-être pas en accélérant les livraisons ou en augmentant le débit, mais en accordant des délais sur le paiement de la marchandise (6 mois au lieu de 12, admettons). Je sais pour avoir beaucoup discuté avec nos voisins concessionnaires Kawasaki ou Harley, que eux n’avaient plus rien à vendre.
MNC : Avez-vous souffert de ruptures de stock ?
Clément : Triumph a bien anticipé avec leurs précommandes et nous n’avons pas été trop impacté... Mis à part deux ou trois motos très spécifiques sur lesquelles les délais ont beaucoup augmenté. Mais même dans ces cas-là, nous restions en mesure d’informer les clients, de leur donner une date fiable. Nous n’étions pas dans le flou comme certains confrères, avec des attentes atteignant les 9 mois.
MNC : Vous n’avez pas ressenti de manque sur les Modern Classics, comme le DG de Triumph France Jean-Luc Mars le signalait à MNC en début d’année ?
K. P. : C’est sectorisé. Ici à Montlhéry, ce sont les roadsters qui se vendent le plus.
Clément : La Street et son écran TFT ont un peu manqué. Mais Triumph a priorisé : les clients qui attendaient depuis longtemps, les modèles plus demandés ou plus chers. À part une commande de Street à châssis bas dont le délai déjà long de base s’est prolongé, tout a bien été géré.
MNC : Les ruptures de stock et hausses de tarif ont dopé les ventes d’occasions. C’est toujours le cas ?
Clément : Oui, et cela se voit aussi un peu partout, dans l’automobile surtout. Si on prend l’exemple de la Street S A2 qui vient de s’arrêter, on trouve des occasions parfois plus chères que le prix du neuf car certaines sont équipées.
K. P. : Ce qu’on note par ailleurs, c’est qu’on rachète énormément de motos vendues après le Covid, auprès de gens qui ont fait un achat impulsif, n’ont roulé que mille bornes en deux ou trois ans, et se rendent comptent aujourd’hui qu’ils ne rouleront plus. Cela nous permet de faire le plein d’occasions.
MNC : Côté occasions justement, vous ne proposez que des Triumph sur votre site officiel. C’est la politique de la marque ? Idem sur Leboncoin ?
K. P. : Nous ne mettons effectivement que des Triumph sur le site officiel, mais nous ne sommes pas limités sur Leboncoin.
MNC : A qui piquez-vous le plus de clients ?
Clément : C’est très aléatoire, la preuve avec la 1290 Super Duke R derrière toi. Nous reprenons toutes marques et tous modèles, de la sportive, du trail, etc. On a rentré pas mal de GS contre de la Tiger 12, quelques Super Duke pour de la Speed, de la CB650 ou MT-07 et 09 pour de la Street.
MNC : Avez-vous de nombreux clients en LOA ?
K. P. : On doit faire minimum 20 %.
MNC : Vous devez pousser ce type de financement ou les clients y viennent naturellement ?
K. P. : On a les deux écoles.
MNC : Les motards à l’ancienne aiment posséder leur moto. Mais les plus jeunes consomment désormais tout sous forme de forfaits et abonnements...
Clément : Les gens regardent de moins en moins l’investissement à faire sur quatre ou cinq ans compte-tenu d’un prix (espéré) de revente. Ils se basent sur une mensualité. Triumph étant une marque qui décote très peu, on fidélise en plus les gens car on réinjecte une partie de leur option d’achat (valeur marché contre valeur convenue) en apport sur la moto suivante. Cela permet de monter en gamme, en cylindrée... Et puis ils ne s’embêtent pas à revendre leur moto. Ils repartent sur une moto neuve et sous garantie. Cela se pratique désormais partout, pour l’auto, l’électroménager, etc. La question de la propriété, du nom sur la carte grise, n’importe plus vraiment. C’est leur véhicule quand même, c’est leur usage, leur assurance.
MNC : Et que faites-vous de la moto qui a trois ans ? Vous repartez sur de la LOA ?
Clément : C’est possible, bien sûr.
K. P. : On fait une nouvelle LOA, on reprend le financement, on solde le crédit nous même, le client n’a rien à faire : il nous laisse la moto, on s’occupe de tout et on lui confie un chèque d’une certaine somme pour sa nouvelle moto. De plus en plus de clients ont recours à la LOA : les travailleurs indépendants, les sociétés aiment cela car c’est plus avantageux. Beaucoup de jeunes aussi, attirés par nos entrées de gamme mais qui commencent tout juste dans la vie active, n’ont pas nécessairement de quoi s’offrir une moto neuve plein pot.
MNC : Un concurrent autrichien met à disposition des modes de conduite durant le rodage, puis laisse le propriétaire libre de les garder ou non. MNC imagine ainsi que pour une journée circuit, ou une semaine de voyage en tout-terrain, on pourra bientôt demander l’activation de certaines assistances électroniques inutiles au quotidien ?
Clément : Ce n’est pas la politique de Triumph et de ses modèles sur lesquels tout est monté de série. Aujourd’hui l’offre et la demande sont vraiment orientés vers le haut de gamme, car on s’aperçoit toujours que c’est plus intéressant que de sélectionner une entrée ou milieu de gamme et d’y ajouter quelques options... Le modèle haut de gamme sera mieux équipé, se revendra plus facilement. Et puis on vient d’en parler : lissé dans une LOA, choisir un véhicule 1000 euros plus cher va peut-être revenir à 3 euros de plus par mois... Le calcul est vite fait.
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