Dans sa rubrique Des mot(o)s et débats, MNC décortique un thème lié à la pratique du deux-roues et confronte ses idées avec celles d'acteurs du monde de la moto. Deuxième sujet traité : la problématique de l'assurance des activités sur circuit...
MNC s'est rendu à la Fédération française de motocyclisme afin de connaître le point de vue de son président sur la situation. Parmi les points évoqués, le Journal moto du Net a notamment voulu savoir à quel point la menace constituée par l'assurance sur circuit préoccupait la FFM...
Jacques Bolle, Président de la Fédération française de motocyclisme
"Pour être honnête, je suis aujourd'hui plus inquiet par les soucis liés à l'assurance que par les problématiques environnementales. Clairement, cela constitue une menace plus préoccupante que les problèmes rencontrés sur le terrain à propos du bruit ou de la pollution.
Je pensais il y a quelques années que les contraintes environnementales lors des épreuves sportives allaient se multiplier de manière exponentielle, mais ce n'est pas le cas. Nous rencontrons toujours des difficultés ponctuelles sur certaines épreuves, essentiellement de tout-terrain, mais la situation ne s'est pas aggravée depuis 2008 / 2009. Il faut bien sûr rester vigilant sur ce sujet, mais la plus grosse menace aujourd'hui réside autour des problématiques d'assurance.
C'est un dossier difficile, complexe et surtout rédhibitoire pour bon nombre de personnes. Car, très franchement, l'assurance n'intéresse personne ! D'ailleurs, même parmi les juristes, il existe relativement peu de spécialistes dans le domaine de l'assurance. Et c'est notamment à cause de cela que l'évolution qui est en train de se produire est dangereuse.
Car il s'agit d'un sujet d'importance, qui pourrait même conduire à la disparition de notre sport en se basant sur le scénario le plus pessimiste. A terme, si les choses continuent à évoluer négativement sur le plan de l'assurance, on peut imaginer qu'assurer une épreuve de sport moto coûte tellement cher qu'il ne soit plus possible de l'assumer financièrement. Autre scénario très sombre possible : la possibilité que nous ne trouvions tout simplement plus d'assureur acceptant de couvrir ce type d'événement, au prétexte que le risque est devenu trop important car trop onéreux à couvrir.
"L'organisateur peut désormais être tenu responsable du moindre sinistre"
Le souci depuis l'entrée en vigueur de la jurisprudence Guittet (voir page 4) et la remise en cause de la théorie de l'acceptation des risques, c'est que l'organisateur d'une activité dite "à risques", comme le sport moto, peut désormais être tenu responsable du moindre sinistre. Auparavant, sa responsabilité ne pouvait être engagée qu'en cas de faute, lorsqu'un sinistre s'était produit par le fait d'une défaillance concrète. Désormais ce n'est plus le cas et les pratiquants peuvent chercher à engager la responsabilité d'un organisateur et ainsi exiger des indemnisations même en l'absence de faute. Cela implique d'énormes contraintes supplémentaires pour nos clubs, qui organisent les épreuves sportives sous l'égide de la fédération.
Voila pourquoi le coût de l'assurance a tellement augmenté. Ce n'est pas tellement que la sinistralité est plus importante, mais les magistrats s'appuient dorénavant sur la jurisprudence "Guittet" pour exiger une indemnisation lors de chaque sinistre. Il faut y voir aussi les conséquences d'un phénomène sociétal, cette recherche de responsabilisation et d'indemnisation à tout prix que certains nomment "dérive à l'américaine". Aujourd'hui, on considère qu'il n'est plus admissible de laisser un sinistré au bord du chemin ou à la merci de la solidarité nationale. Et ce, quand bien même il se blesse en pratiquant en toute connaissance de cause une activité à risques, comme le sport moto, l'escalade ou encore l'équitation. Bien sûr, ce raisonnement est défendable : ce n'est pas forcément à la population ou à la sécurité sociale de prendre à sa charge la sinistralité d'une activité. Le souci, c'est que la responsabilité a été transférée des pratiquants vers ceux qui proposent l'activité à risques. Or, cette position est difficilement tenable car il n'est pas possible financièrement de couvrir tous ces risques. Ni pour la FFM, et encore moins pour ses clubs.
Cela touche aussi bien des petites structures organisatrices d'une seule manifestation annuelle (une situation où l'équilibre budgétaire est déjà très fragile malgré un fonctionnement basé à 90% sur du bénévolat) que des épreuves plus importantes. Tout simplement parce que leurs coûts d'assurance sont à la base beaucoup plus élevés. Prenez l'Enduro du Touquet, par exemple, dont la couverture en assurance tourne autour de 70 000 euros. Si vous multipliez chaque année cette somme par deux en suivant la tendance annoncée l'année dernière par les assureurs français suite au revirement de la jurisprudence, vous arrivez très vite à des montants impossibles à couvrir, de l'ordre de 300 000 à 400 000 euros !
"1200 euros d'aide par épreuve en 2015"
Dans ces conditions, nous perdrions la moitié voire les trois quarts de nos épreuves, faute de budgets suffisants pour les assurer dès 2016. Nous avons pris deux mesures pour tenter de pallier ça : une aide directe à nos clubs (1000 euros par épreuve cette année, 1200 l'année prochaine) et un changement de notre courtier d'assurance. C'était une étape obligatoire car en France il y a un monopole au niveau des tarifs d'assurances RC organisateur, ce qui signifie que les prix sont similaires d'une compagnie à une autre. Notre nouveau courtier nous a proposé une autre solution, qui consiste à faire appel à un assureur étranger, notamment en Angleterre où les assureurs sont disposés à prendre plus de risques dans le cadre de l'assurance d'une pratique sportive. Et donc, de proposer des tarifs plus intéressants.
La FFM a par conséquent fait appel au premier courtier d'assurance français, Gras Savoye, qui vient de finaliser un accord avec un assureur anglais, après 4 ou 5 mois de tractations. Cet accord couvre pratiquement toutes les disciplines du sport moto, à l'exception de celles où il y a une utilisation de la voie publique. Heureusement les disciplines concernées, comme l'Enduro, ne sont pas les plus compliquées et onéreuses à assurer.
Une solution serait de revenir en arrière et "d'inscrire dans le marbre" la théorie de l'acceptation des risques. C'est-à-dire de préciser à travers la loi qu'il existe un certain nombre d'activités présentant des risques et que ses pratiquants s'y exposent en toute conscience. Mais pour que le ministère de la justice accepte de faire machine arrière sur ce sujet, il est impératif de leur présenter une contrepartie. Ceci dans l'idée d'éviter un refus catégorique au prétexte évoqué précédemment qu'il n'est pas possible de laisser un sinistré totalement démuni en cas de sinistre.
Cette contrepartie, pour la FFM, consisterait à imposer une assurance de type individuelle accident à tous les pratiquants (actuellement, cette couverture incluse avec la licence est résiliable, NDLR), et bien entendu de majorer son niveau de garantie. En se basant sur les assurances vie privés de type GAV (Garantie des accidents de la vie), nous avons proposé au ministère de la justice que ce niveau de garantie soit fixé à un million d'euros. De cette manière, les primes d'assurance des organisateurs baisseraient mécaniquement puisque les magistrats arrêteraient de dévoyer le système en engageant la responsabilité civile des organisateurs lors de sinistre. Il s'agirait d'un retour à une situation normalisée, où les pratiquants assumeraient et couvriraient leurs risques par le biais d'une assurance spécifiquement adaptée. Le hic, c'est que cela implique forcément une hausse du coût de la licence, pour couvrir l'inflation née de l'élévation du seuil des garanties de l'individuelle accident.
D'ici trois ou quatre ans, je pense que le coût de l'assurance se sera stabilisé après avoir fortement augmenté. Malheureusement, cette hausse se fera au détriment des pratiquants, car la partie dévolue à l'assurance dans la licence (environ 60 euros actuellement) aura elle aussi fortement augmenté. Cela étant, le prix de la licence additionné aux droits d'engagements ne représentent qu'entre 2% et 8% du coût total d'une saison d'un pilote, suivant son niveau et sa catégorie. On peut donc penser que même si ces charges concernant l'accès à la course augmentent significativement, cela n'empêchera pas les passionnés de continuer à courir".
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