Au coeur de l'Afrique de l'Ouest, le Burkina Faso ("Pays des hommes intègres" en mooré) attire peu les touristes en raison de son absence d'accès à la mer. Raison de plus pour aller y tâter un peu de piste au guidon d'un vieux 600 XR hors d'âge...
Pas facile en débarquant à Ouagadougou, capitale (1 million d'habitants) du Burkina Faso (13 millions d'habitants), de trouver une bécane à louer...
Bien sûr, comme dans pas mal de pays d'Afrique (lire Moto-Net en Côte d'Ivoire et Moto-Net au Nigeria), des quantités invraisemblables de mobs sillonnent la ville en tous sens, chargées jusqu'à la gueule de poulets ou de moutons, de tas de branchages ou de bidons.
A tel point que Ouaga, parfois surnommée "Ouaga-deux-roues", organise chaque année le Rallye moto de Ouagadougou (RAMO) : une course de dingues à travers la ville, sur des mobs toutes plus trafiquées les unes que les autres, qui se tirent la bourre à plus de 130 dans une atmosphère surréaliste de Tourist Trophy subtropical... Mais pas, ou très peu, de "vraies" motos...
Depuis quelques années, la mob chinoise - moins chère, plus confortable, moins ringarde et plus puissante - détrône irrémédiablement la bonne vieille Ninja. Quant aux rares grosses cylindrées récentes (Honda Varadero, BMW 1200 GS), la plupart appartiennent à des expatriés - principalement français mais également quelques belges, allemands ou canadiens - qui travaillent dans le développement, la coopération ou le business plus "classique".
Pas de pétrole au "Pays des Hommes intègres", donc pas ou très peu d'investisseurs étrangers hormis le Guide libyen himself : grand ami du président Compaoré, le colonel Kadhafi y a placé des fortunes, notamment dans l'hôtellerie.
Donc fatalement, pas ou peu de thunes pour le bon peuple, exception faite de quelques riches négociants, entrepreneurs de travaux publics ou président de la République.
Le Burkina produit pas mal de coton mais tout le monde s'en fout, Etats-Unis et Union européenne en tête qui préfèrent subventionner grassement le leur au nom du "libre-échange" (!), un peu d'or extrait par des mômes qui seraient sûrement mieux à l'école (50% de la population a moins de 15 ans, mais l'illettrisme frise les 80%) et très peu de tourisme.
Tous les deux ans se tient néanmoins un festival de cinéma réputé, le Festival panafricain de cinéma et de télévision de Ouagadougou (FESPACO), dont la prochaine édition aura lieu du 24 février au 3 mars 2007. L'occasion de (re)découvrir d'excellents cinéastes tels que les burkinabés Idrissa Ouedraogo ("Samba Traoré", "Yaaba", "La colère des dieux", "Ouagadougou, Ouaga deux roues" et bien d'autres) ou Dany Kouyaté ("Sia, le rêve du python", "Keita, l'héritage du griot"), qu'on trouve facilement en DVD à Paris.
Mais revenons à nos moutons burkinabés (servis grillés avec des oignons et du piment par les "grilleurs" du bord des routes ou sur les marchés) : que des mobs, partout, créant des embouteillages monstres à chaque carrefour... mais toujours pas de motos !
C'est finalement avec l'aide d'Issa, mécanicien de talent chez Technik Services et accompagnateur hors pair, qu'on va dénicher la perle rare... Un grand merci à Issa, qui en fonction de son emploi du temps (ce n'est pas son métier !) pourra éventuellement apporter une aide précieuse à ceux qui seraient tentés par l'aventure : +226 (76) 61 03 79.
Premier essai infructueux chez Guillaume Adeline, un français installé au Burkina et responsable de l'agence Hors Trace, spécialisée dans les raids en Afrique à pied, en 4x4, à moto, en pirogue, en dromadaire ou à cheval : Burkina, Niger, Mali et Pays dogon, Sahel, Aïr, Ténéré, etc.
Guillaume regrette, mais il "ne fait plus de location de moto sans accompagnement car ici tu comprends, t'es en Afrique : ça veut dire que chaque machine a son propre tempérament, ses propres gris-gris, et qu'il faut bien les connaître individuellement sinon c'est la panne assurée en pleine brousse. Et là, vraiment, c'est la galère"...
Message reçu ! C'est donc par l'intermédiaire d'un autre contact d'Issa qu'on finit par dégotter une Honda 600 XR de 1985 - équipée d'une selle de 600 XL pour tromper l'ennemi ! -, aux pneus à peu près d'époque à en juger par l'état de leurs sculptures, sans rétro mais avec un kick, des freins (enfin, genre !) et un bon vieux mono pas bégueule. 100 000 francs CFA (150 euros) la semaine, kilométrage illimité : adjugé !
Coupe-circuit sur ON, coup de kick des familles, KLONG pour la première et KLANG pour le coup de pied au cul, gaz et direction... la station-service la plus proche ! Pour faire le plein bien sûr (environ 1000 francs CFA le litre, ce qui est très cher au plan local), mais surtout pour acheter deux grandes bouteilles d'eau fraîche. Pour rouler à peine 200 km jusqu'à ce soir ça me paraît un peu beaucoup, mais pourquoi pas !
"Tu verras", m'assure Issa...
Et j'ai vu ! Après le péage à la sortie de Ouagadougou (gratuit pour les motos) où quelques flics effectuent de vagues contrôles sous l'oeil blasé des vautours, le goudron n°1 en direction de Bobo Dioulasso mène à Dassouri, où une piste sur la droite bifurque vers Bazoulé.
Dans un nuage de poussière rouge qui oblige à rouler casque fermé malgré le soleil (40 degrés à l'ombre) et la faible vitesse (environ 50 km/h), on arrive à la Mare au caïmans sacrés...
Et pendant qu'un vieux croco s'envoie un poulet en guise d'offrande dans un claquement de mâchoires retentissant, je vide une bouteille d'eau entière avec cette curieuse impression, poussière oblige, d'avaler à chaque gorgée une pleine brouette de briques rouges...
Après avoir repris la piste pour une nouvelle halte au marché de Bassemyam, où l'on trouve toujours les mêmes bières bien fraîches (65 cl !) accompagnées de mouton grillé, on longe quelques endroits cultivés autour de Komsilga (maïs, mil, coton, mangues super bonnes, arbres à karité et un peu de riz près des barrages).
La piste arrive finalement à Possomtenga où une néerlandaise installée depuis bientôt 30 ans au Burkina, Magriet Reinders, a créé l'Etoile de coton, une entreprise de textile traditionnel en collaboration avec les chefs coutumiers, les autorités locales et les artisans teinturiers et tisserands.
Au rythme des tambours, alors que le soleil commence à descendre doucement derrière les baobabs et les nérés - la nuit tombe tôt en Afrique -, le village célèbre les funérailles d'un vieillard...
Contournant Ouaga par le sud via une multitude de pistes plus ou moins larges et plus ou moins envahies par la savane arbustive, on traverse les goudrons n°5 et n°6 en direction de Pô et du Ghana.
Depuis les derniers troubles en Côte d'Ivoire - qui, selon Abidjan, auraient justement été téléguidés depuis Ouagadougou -, Accra a supplanté la capitale ivoirienne pour le transit portuaire et les relations commerciales du Burkina avec le reste du monde.
C'est ainsi que de nombreux camions et convois empruntent quotidiennement la route de Pô vers le Ghana, comme ces cinquante 4x4 japonais qui auraient été "offerts par la France" pour la future campagne présidentielle de Blaise Compaoré (dont la réélection est déjà programmée pour novembre avec une confortable majorité).
Après une nuit à Koubri, où des moines fabriquent du yaourt et où un ancien militaire français tient une confortable Auberge des Bougainvilliers, la piste traverse la forêt de Gonsé. Le terme de "forêt" recouvre en réalité une vaste étendue d'arbres très dispersés (baobabs, nérés, caïlcédrats...) mais qui parviennent bon gré mal gré à procurer une ombre extrêmement profitable aux villageois comme aux gens de passage.
Par endroits, les pistes deviennent de minuscules sentiers où la plus grande prudence s'impose : une rencontre avec un mouton, un âne ou un passant est toujours possible et il convient de pouvoir attraper très rapidement les "freins", ou plutôt le levier et la pédale qui, théoriquement, déclenchent le freinage...
Le long d'une retenue d'eau où les hommes pêchent à la ligne ou à l'épervier tandis que les femmes lavent le linge et cultivent un peu de riz, la végétation verdit à vue d'oeil. De nombreux petits villages se succèdent jusqu'au goudron n°4 vers Niamey (Niger).
De là, une piste de 6 km en direction de la route de Kaya mène au parc de Laongo, un musée à ciel ouvert, en pleine savane, où des sculpteurs du monde entier viennent tous les deux ans depuis 1989 modeler le granit à l'initiative de Sidiki Ki, un artiste burkinabé.
"On est lundi, c'est jour de fermeture. C'est pour ça qu'il n'y a personne", fait nonchalamment remarquer le gardien en nous ouvrant largement les grilles du parc, avant d'aller paisiblement reprendre sa sieste.
La route se poursuit jusqu'à Ziniaré - le zoo du président ! - via le goudron n°4 et plusieurs pistes adjacentes. Après Loumbila, petite pause chez les parents d'un pote d'Issa qui nous offrent le dolo, une "bière" artisanale à base de mil fermenté. Retour à Ouagadougou par le goudron n°3.
Les amateurs de nature sauvage pourront ensuite aller explorer le parc de Nazinga, à la frontière ghanéenne. On peut y aller en moto - goudron n°5 jusqu'à Pô puis piste sur la droite en direction de Nazinga - mais on ne peut pas circuler à l'intérieur du parc autrement qu'en 4x4.
Face à une charge d'éléphante inquiète pour son bébé, on sera en effet plus à l'aise dans un Toyota que sur une vieille 600 XR ! On peut en louer un sur place, un peu moins cher que depuis Ouaga.
S'il est là - et s'il est disposé à vous guider parmi les 94 000 hectares de forêts qu'il connaît mieux que sa poche -, demandez à Neti Nama ("l'enfant né la nuit") s'il veut bien vous accompagner : un grand monsieur de 43 ans, d'une gentillesse inouïe et possédant une connaissance de la nature sidérante, qui depuis 1981 travaille dans ce parc monté en 1979 par des belges et des canadiens.
Comptez au moins une nuit sur place. En dépit de la chaleur (le ventilateur n'est d'aucune utilité lorsque, pour économiser l'essence, le groupe électrogène ne fonctionne que de 18 à 22h), il paraît "peu prudent" de dormir dehors en raison "des reptiles qui se promènent", estime le gardien.
A l'est de Pô se trouve Tiébélé, le plus important (13 000 habitants) des villages kasséna à la splendide architecture gurunsi.
Depuis des siècles et des siècles, les hommes construisent les maisons en banco (briques de terre) et les femmes les peignent en représentant des motifs symboliques (épervier, poule, python, lune, soleil, etc.).
Lorsque la maison est terminée, il faut absolument qu'un lézard soit le premier être vivant à y pénétrer, garantissant qu'elle est bien née et que ses occupants y couleront des jours heureux. Si aucun lézard ne daigne y pointer le bout de son nez, il faut reconstruire...
Le python est également l'objet de tous les égards car sauf exception, il s'agit le plus souvent d'une défunte grand-mère réincarnée.
Le retour à Ouaga peut se faire par Pô ou par Léo. Cette deuxième option n'est toutefois pas toujours possible, des "coupeurs de routes" (braqueurs) pouvant y être à l'oeuvre. En juin 2005, une rumeur insistante faisait ainsi état d'un "groupe de femmes armées et habillées en cuir" qui arrêtaient les voitures pour en dépouiller leurs occupants...
Au sud-ouest de Ouagadougou, Bobo Dioulasso est la deuxième ville du pays. On peut également y aller en bécane mais un assez bon réseau de bus (parfois climatisés) assure la liaison plusieurs fois par jour.
Le grand marché central vaut à lui seul le déplacement, tout comme la grande Mosquée du Vendredi, le vieux quartier historique de Dioulassoba ou l'inquiétant site de sacrifices de Dafra et ses énormes silures sacrés, perdu dans la savane à quelques kilomètres de la ville...
A la nuit tombée, lorsque la chaleur relâche la pression de quelques menus degrés - surtout à Bobo où la saison des pluies est davantage marquée que dans la capitale et le nord du pays -, on pourra se poser dans l'un des deux jardins qui jouxtent la très belle gare Sitarail, malheureusement en sommeil depuis les "troubles" en Côte d'Ivoire, pour y goûter le meilleur poulet grillé du monde.
Et là, le nez au vent sous les étoiles, les lèvres brûlées par le piment, on pourra "se rafraîchir en échangeant des idées". Et tout en ayant à peine effleuré l'immensité d'un continent pauvre aux rencontres riches, savoir qu'on reviendra...
A lire :
A écouter (fort) : Tiken Jah Fakoly (ivoirien exilé au Mali)
Contact : Issa Zangre (Technik Services) +226 (76) 61 03 79
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