Fidèle compagne des motards encadrant le Tour de France, la Kawasaki GTR1400 peaufine en 2015 les deux qualités essentielles pour une moto routière : son confort de selle et sa protection. MNC l'a mise à l'épreuve par tous les temps pendant 630 km. Essai.
En 2007, Kawasaki réinvestissait avec ambition le segment des motos GT avec la GTR1400, une routière fuselée comme un avion furtif et à peine moins sophistiquée : original cadre monocoque, distribution variable prometteuse, étriers radiaux et embrayage anti-drible dignes d'une sportive ainsi qu'un système de démarrage sans clé "Kipass" novateur à l'époque dans la production deux-roues (lire notre Essai MNC de la GTR1400 2007).
Etroitement dérivée de la bestiale ZZR1400 à qui elle reprend le cadre et le 4-cylindres en ligne de 1352 cc, la GTR1400 entend profiter de ses flatteuses racines sportives pour offrir un degré de performances élevées dont il serait possible de jouir dans un confort souverain. En résumé, il s'agit d'une "Ninja qui ne vous cassera pas, comme le titrait à l'époque MNC !
Trois ans plus tard, en 2010, Kawasaki la retouche afin d'éradiquer ses principaux points faibles : sa protection et sa dotation d'équipements insuffisantes. Nettement plus mûre, la Verte renforce au passage son arsenal technologique avec un ABS combiné et réglable sur deux niveaux, un anti-patinage désactivable et des poignées chauffantes (lire notre Essai MNC de la GTR1400 2010 et notre Essai comparatif MNC face à la K1600GT et la Sprint GT).
Malgré ces améliorations et de très bonnes qualités routières, la GTR1400 trace pourtant sa route à l'ombre des références du segment, BMW R1200RT en tête. Pour tenter d'inverser la tendance, le blason d'Akashi lui offre en 2015 quelques évolutions portant sur la protection et le confort, via une nouvelle bulle et une selle redessinée.
Le reste de la moto est strictement identique au millésime précédent, de ses spacieuses valises de 37 litres montées en série à son moteur développant 155 ch en statique - 160 avec l'action de l'air forcé à haute vitesse - et 136 Nm de couple dans le monde libre. En France, cette impressionnante cavalerie est - hélas - encore méchamment bridée à 106 ch et 121 Nm jusqu'au 1er janvier...
Statique : un petit coup de vieux...
Esthétiquement, la Kawasaki GTR1400 2015 ne présente guère de changements par rapport à sa devancière. C'est tout juste si l'on remarque la greffe d'une trappe amovible sur la bulle réglable électriquement et à fonction mémoire. Actionnable en roulant, l'ouverture sur deux positions de ce volet permet de diminuer la pression de l'air sur la partie haute du corps.
Malgré ses carénages aux formes élancées et parsemés de stries évoquant les hautes vitesses, l'allure générale reste imposante, voire intimidante : avec ses 2230 mm de long et ses 790 mm de large, la Kawa est un bon "morceau" ! Cela étant, rares sont les motos routières de ce calibre à briller par leur sveltesse...
Cet aspect "grosse moto" est renforcé par ses rétroviseurs identiques à ceux d'un monospace, pas très sexy mais hyper lisibles et garants d'une protection satisfaisante pour les mains. Une agréable touche de dynamisme est toutefois apportée par les disques de freins à pétales, les clignotants intégrés dans les flancs, le feu arrière sous forme de barre et la fourche inversée, réglable en précharge et en détente comme le mono-amortisseur.
Pourtant, force est de constater que la ligne a pris un petit coup de vieux, notamment au niveau de la partie avant avec ses énormes phares en amande et son enveloppant garde-boue. La teinte légèrement passée des boutons gris et orange sur les commodos de notre modèle d'essai avec 7000 km n'arrange pas les choses, tout comme la présentation un peu datée de l'instrumentation.
Celle-ci se révèle néanmoins complète avec la pression des pneus (de série), l'heure, le niveau d'essence ou encore la consommation et la température (du moteur et de l'air) renseignés de manière lisible sur l'écran digital situé au-dessus du compteur et du compte-tours à aiguille. Ces informations peuvent en outre se faire défiler soit via de classiques boutons pressoirs sur l'instrumentation, soit par le biais de la gâchette "Mode" située devant le commodo gauche.
Enfin, sur le plan du design, un silencieux raccourci dégagerait positivement la partie arrière, surtout lorsqu'on roule sans valises. L'occasion d'apprécier la facilité de l'opération de démontage et de remontage desdites valises... et de pester une fois de plus contre l'absence de verrouillage au guidon !
Depuis sa sortie en 2007, la GTR1400 demande effectivement d'utiliser la clé pour ouvrir et fermer les valises, à l'intérieur desquelles tient aisément un casque intégral. Sur le papier, rien d'insurmontable. Sauf que la Kawasaki est équipée d'une clé particulière - en forme de bouton, en vignette ci-dessous - en raison de son système de démarrage "Kipass"...
Grâce à ce dispositif, il suffit porter sur soi une télécommande - équipée d'un transpondeur - pour démarrer. Une fois détecté par la centrale électronique, une courte pression sur la clé active la mise en tension, puis le démarrage peut s'exécuter via un traditionnel poussoir rouge sur le commodo droit. Pour éteindre le moteur et verrouiller le Niemann, on tourne la clé vers la gauche, comme avec un contacteur "normal".
Pratique, cet équipement permet de littéralement garder les mains libres, sans avoir à se préoccuper de la clé : celle-ci est conçue pour rester dans le barillet à l'arrêt, la moto ne pouvant pas démarrer sans la télécommande.
Dans ces conditions, devoir ôter la clé - en la plaçant sur la position "FSS" à droite - pour accéder à l'intérieur des valises gâche sensiblement l'agrément offert par ce "Kipass". Un verrouillage centralisé au guidon, voire sur la télécommande comme sur certaines motos concurrentes, permettrait de se passer de cette manipulation un brin fastidieuse.
On se console avec les très pratiques mollettes de réglages de hauteur de phare et la désormais indispensable prise 12V, placées sur le bas du cockpit. Le vide-poche à fermeture électro-aimantée constitue aussi un atout précieux, notamment pour y placer les tickets de péage et une carte bancaire sur autoroute.
Enfin, même si la douce et silencieuse transmission par arbre à cardan ne nécessite aucun entretien régulier, la présence d'une béquille centrale reste appréciable sur ce type de motos. En revanche, jucher les 305 kg tous pleins faits du bestiau sur la centrale demande de très solides biceps !
Dynamique : un peu plus d'agrément
Pénalisant moteur coupé, ce poids situé dans la fourchette haute de la catégorie (274 kg pour la R1200RT, 289 kg pour la FJR1300 et 301 kg pour la Trophy) reste sensible une fois lancé. Maintenir la moto en équilibre à très basse vitesse réclame aussi plus d'attention qu'avec certaines de ses rivales, en raison d'une répartition des masses moins aboutie.
Ajoutée aux valeurs d'empattement et d'angle de chasse résolument tournées vers la stabilité (1520 mm et 26,1°), cette caractéristique ne joue pas en faveur de la maniabilité : la GTR1400 demande des bras pour virer promptement et passer d'un angle à l'autre.
Mais s'il n'est pas particulièrement vif, le train avant s'avère rassurant et directeur. La Kawasaki avale les courbes comme posée sur un rail et sans jamais dévier de sa trajectoire, même si le frein avant est actionné sur l'angle. Intégralement couplé, son freinage est irréprochable en termes de puissance et d'endurance. MNC regrette juste un toucher un peu dur à la prise du levier.
L'ABS réglable est transparent dans la quasi-totalité des cas - y compris sur chaussée mouillée et bosselée - et présente une mise en action douce et rapide. Seuls des freinages extrêmement violents le mettent parfois à défaut, notamment lorsque le levier est tiré avec force et sans retenue, lors d'un freinage d'urgence par exemple.
Au niveau de l'amortissement, la GTR1400 offre une qualité d'absorption générale en adéquation avec son statut de grande voyageuse. Les grosses compressions sont lissées avec efficacité, sans créer de mouvements indésirables. En revanche, les chocs plus secs ne sont pas filtrés de manière aussi ouatée, faute d'une progressivité hydraulique suffisante.
Pas assez réactif, l'amortisseur tend parfois à rebondir sur l'obstacle plutôt que l'absorber : la preuve en image ci-dessus, avec le pneu arrière de 190 mm soulevé à quelques centimètres du sol par une ondulation pourtant peu prononcée en plein virage !
Même si les différents réglages d'amortissement s'avèrent accessibles et efficaces - notamment la pratique molette d'ajustement de la précontrainte sur l'arrière gauche -, on regrette à cet instant de ne pas disposer de suspensions pilotées par électronique, comme sur les FRJ1300, R1200RT et Trophy SE...
Grâce à cette technologie souvent optionnelle, passer d'un tarage "sportif" pour enrouler du câble sur un bitume irréprochable à un amortissement plus souple pour déjouer les nids-de-poules est à portée de doigts, sans avoir à s'arrêter ni à sortir d'outils. Le top pour une moto par nature destinée à affronter différents revêtements, en solo pressé comme en duo chargé !
Fort heureusement, la nouvelle selle redessinée gomme une partie des chocs et participe au très bon agrément général. En revanche, cette assise dotée d'élégantes surpiqûres pêche encore par sa hauteur élevée (815 mm), et hélas non ajustable. Associée aux volumes généreux de la moto, surtout entre les cuisses, cette hauteur pénalise les moins d'1m75 qui ne poseront pas les deux pieds à plat au sol.
Là encore, les plus abouties rivales de la GTR1400 contournent ce problème en proposant des selles à hauteur variable, la plupart du temps sans outils et sur une fourchette allant de 805 à 825 mm. Comparée à ces concurrentes, la position proposée par la Kawasaki est par ailleurs moins relaxante : les repose-pieds sont plus reculés et le guidon - non réglable - est un soupçon plus bas. La Kawa affirme sa philosophie sport-GT !
Au niveau de la protection, la bulle électrique équipée de son inédit déflecteur peine encore à convaincre totalement. Certes, le désagréable phénomène d'aspiration vers l'avant ressenti au niveau de la tête et des épaules sur le précédent modèle disparaît dès que le volet est ouvert. Tailler l'autoroute à haute vitesse est par conséquent beaucoup plus agréable et moins fatiguant pour les cervicales.
Mais il manque toujours quelques centimètres au pare-brise pour préserver efficacement : le haut du casque d'un conducteur d'1m75 reste exposé aux turbulences, comme sur la version 2010. Dommage, car le reste du corps est parfaitement abrité : MNC a pu le vérifier sous une pluie battante, bien installé sur cette moto confortable et dotée de série de précieuses et effaces poignées chauffantes !
Verdict : encore un petit Tour avant la refonte ?
Partenaire principal "deux-roues" du Tour de France depuis 1977, Kawasaki ne fait pas un cadeau empoisonné aux motards encadrant la Grande Boucle en leur fournissant sa GTR1400 : malgré quelques menus défauts, la moto routière des Verts est une excellente avaleuse de bornes.
Plus confortable et protectrice, cette version 2015 hausse d'un petit cran un niveau de prestations générales globalement satisfaisantes. Certes, il lui manque quelques équipements désormais répandus dans la catégorie (régulateur de vitesse, selle et guidon réglables, suspension pilotées), mais son placement tarifaire assez agressif compense en partie ces lacunes.
A 17 499 €, la Verte est en effet plus accessible que la référence BMW R1200RT (18 905 €) ou la Triumph Trophy (désormais uniquement disponible en version SE à 19 390 €), mais un peu plus onéreuse que la FJR1300 (15 999 €). En revanche, elle n'offre pas le dynamisme et la polyvalence de ses rivales les plus abouties : une refonte plus profonde sera nécessaire, à la fois pour l'affûter et éradiquer ses kilos superflus, mais aussi améliorer son comportement mécanique.
Car comme sur le précédent modèle, la GTR1400 est terriblement creuse sous 4000 tr/mn au regard de sa cylindrée. Ses relances sous ce cap sont timorées et insipides, loin du caractère généreusement coupleux attendu d'un "gros" moteur de 1352 cc ! L'avantage, c'est que l'efficace anti-patinage se la coule douce sur toute la première moitié du compte-tours, hormis sur chaussées très glissantes...
Une fois de plus, MNC ne peut s'empêcher d'émettre des réserves quant à l'efficacité réelle de sa distribution variable "VVT" (variable valve timing) étrennée par Kawasaki sur la GTR1400... Censé accroître les performances mécaniques à tous les régimes, ce complexe dispositif modifie le diagramme de distribution en fonction du régime et de la position du papillon des gaz.
Au final, cette distribution variable peine à imposer ses vertus et paraît au contraire être à l'origine du manque de "coffre" du 4-pattes japonais, de la même façon que le V-Tec de la Honda VFR 800... Un comble !
A partir de 4000 tr/mn, à 140 km/h compteur (134 au GPS) sur le sixième rapport très surmultiplié, l'accélération devient - enfin - soutenue et consistante. On apprécie alors le sourd râle émis par l'échappement... mais nettement moins les sournois fourmillements ressentis dans les mains.
Dans la deuxième partie du compte-tours, l'ADN sportif de la GTR fait surface et le pilote sourit en anticipant un déferlement de puissance typiquement dans l'esprit des motos sportives Kawasaki... Hélas, celui-ci n'intervient qu'un bref instant avant d'être coupé net dans son élan par le bridage français, particulièrement frustrant dès 7000 tr/mn...
Clairement, la GTR1400 compte parmi les motos pour lesquelles l'abandon de la loi des "sans-chevaux" sera vécue comme une véritable délivrance !
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CONDITIONS ET PARCOURS |
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POINTS FORTS SUZUKI KAWASAKI GTR 1400 2015 |
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POINTS FAIBLES KAWASAKI GTR 1400 2015 |
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