Ricky Brabec devient à 28 ans le premier pilote moto américain à remporter le Dakar au terme d'un rallye exemplaire de régularité et deux victoires d'étapes. Le succès du californien pour la première édition en Arabie saoudite marque aussi (surtout ?!) le retour à la victoire de Honda, 31 ans après celle de Gilles Lalay ! Compte rendu et classements.
Ricky Brabec, vainqueur des étapes 3 et 6, prend une revanche sur le sort qui l'avait privé du succès l'an dernier à cause d'une casse moteur alors qu'il menait le dernier Dakar en Amérique du sud. Cette année pour la première en Arabie saoudite, l'américain n'a connu aucune désillusion avec sa Honda, tout comme ses coéquipiers qui ont également brillé : José Cornejo remporte son deuxième succès en s'imposant sur la dernière étape, copieusement raccourcie en raison de la construction d'une installation pétrolière à proximité du parcours.
Honda s'impose enfin - pour la première fois depuis 1989 - et met fin l'incroyable domination de KTM, qui avait remporté les 18 derniers Dakar sans exception ! Le profil plus roulant du nouveau parcours en Arabie saoudite a profité à la vitesse des CRF450 Rally, tandis que KTM est apparu plus en difficulté notamment après l'abandon d'un de ses chefs de file Sam Sunderland, vainqueur - déclassé - de l'étape 4.
Les nouvelles traces à découvrir sur les pistes saoudiennes ont aussi largement rabattu les cartes en faveur de Brabec et Honda. L'américain a su éviter les grosses erreurs de navigation, tout en apprivoisant le nouveau format du road-book : celui-ci était remis aux pilotes le matin même des spéciales, déjà préparés, et non la veille comme sur les éditions précédentes.
Terminés les "mapmen" des équipes officielles qui passaient la nuit à baliser le parcours et à colorier le road-book au profit des pilotes d'usine ! Désormais tout le monde est à la même enseigne : officiels comme privés. Sans oublier les courageux pilotes "malle-moto", rebaptisé "Original by Motul" : le romain Emanuel Geynes s'impose dans cette catégorie sans assistance devant le français Benjamin Melot.
A cela s'ajoute une navigation unaniment décrite comme difficile, qui a piégé plusieurs top pilotes : Price et Walkner du clan KTM, Quintanilla de la marque "cousine" Husqvarna (groupe KTM), mais aussi Barreda (Honda) qui a par ailleurs souffert d'une douloureuse blessure aux côtes en début de rallye. Résultat : Ricky Brabec s'est forgé 15 minutes d'avance (!) dès le troisième jour et jusqu'à 25 minutes au 10ème jour !
Monster Energy Honda Team has triumphed in the 2020 Dakar Rally! With the victory, @rickyB357 (Hesperia, California, USA) becomes the first ever American rider to clinch the @dakar
https://t.co/daLIRiuaOk#Dakar2020 pic.twitter.com/uTKCltBXcM
— Monster Energy Honda (@RallyTeamHRC) January 17, 2020
Le pilote californien, impérial, a su ensuite résister aux tentatives de retour de ses rivaux durant la deuxième semaine, notamment le retour tonitruant de Pablo Quintanilla qui a remporté avec la manière les étapes 8 et 11. Le chilien ne désespérait pas de poursuivre sa remontée aujourd'hui, mais l'amputation de la dernière étape lui a coupé l'herbe sous la botte...
"La spéciale du jour a dû être raccourcie suite à la construction d’une installation pétrolière proche du parcours", a fait savoir ASO peu avant le départ ce matin. "Les concurrents ont donc 167 km devant eux (au lieu de 374 km, NDLR) pour faire une dernière fois la différence".
Honda dépasse - enfin - KTM
Cette dernière spéciale "tronquée" alors transformée en court sprint d'1h30, dont José Cornejo est ressorti vainqueur avec une petite minute d'avance sur Ricky Brabec et 2'25 sur Toby Price. Le HRC aura jusqu'au bout dominé cette palpitante édition 2020, malgré la puissante opposition du groupe KTM.
@rickyB357 is set to succeed @tobyprice87 and become the firstAmerican to conquer the world's toughest and biggest rally!
He still needs to cover the @qiddiya Grand Prix and reach the finish podium to take the
A.S.O. / C. Lopez #Dakar2020 pic.twitter.com/OeVlvDGT6j
— DAKAR RALLY (@dakar) January 17, 2020
"Au final, nous avons réuni toute les pièces du puzzle", commente Brabec à l'arrivée. "On savait qu’on pouvait le faire, que ce soit n’importe quel coureur de l’équipe. Je suis extrêmement heureux. C’est mon 5ème Dakar, mais seulement mon deuxième à l’arrivée… Je me suis réveillé super heureux de courir cette dernière étape et ça y est ! Je suis là, c’est gagné".
"Il a fallu être intelligent tous les jours et concentré", poursuit le successeur de Gilles Lalay, dernier vainqueur en Honda en 1989. "Il n’y a pas de top leader dans notre équipe, tout le monde a bien travaillé : on est une famille. On a tous gagné".
Au total, Honda peut s'enorgueillir de six victoires d'étapes contre trois pour KTM : deux pour Ricky Brabec (étapes 3 et 6), une pour Kevin Benavides (7) et Joan Barreda (10) et deux pour José Cornejo (4 et 12). Le concurrent autrichien s'est illustré sur les étapes 1 et 5 avec Price et sur l'étape 2 avec Ross Branch. Sam Sunderland avait également remporté une victoire avant d'être déclassé sur l'étape 4.
Petite consolation pour "Katoche" : son solde grimpe à cinq succès si l'on ajoute les deux victoires d'étapes de Pablo Quintanilla (8 et 11) sur sa Husqvarna Factory, soit une KTM aux couleurs "HVA". Honda conserve malgré tout l'avantage, preuve des progrès du constructeur japonais sur son douloureux talon d'Achille des éditions précédentes : la fiabilité.
"Je suis toujours sur le podium, pas exactement à la place que je suis venu chercher mais je peux être heureux", se console l'ancien tenant du titre, Toby Price. "A chaque fois que je suis à l’arrivée du Dakar, c’est sur le podium. C’est un bel accomplissement après ces deux semaines très dures. Mais je reviendrai en 2021 pour essayer de gagner à nouveau".
Si le pilote australien reconnaît la supériorité de Honda cette année, il estime également avoir jouer de malchance à certains moments-clés : "j’ai perdu 16 minutes avec un problème de bib-mousse sur ma roue arrière, par exemple", rappelle-t-il en faisant référence à sa crevaison lente en début de rallye.
Price termine à la troisième place au général derrière Pablo Quintanilla, superbe deuxième malgré un poignet douloureux suite à une chute en début de course. Le chilien conjure favorablement le sort, lui qui s'était fracturé la cheville dans la dernière étape l'an dernier : cette chute douloureuse l'avait éloigné de la compétition pendant sept mois.
"J’ai tout donné, jusqu’au dernier kilomètre", affirme le n°5. "C’est une sensation incroyable. Je veux juste remercier tout le monde, mon équipe, ma famille et ceux qui m’ont supporté. La course a été serrée et même en 2ème position, je me sens comme un vainqueur".
Ce nouveau Dakar en Arabie saoudite a également favorisé l'éclosion de nouveaux talents, comme le surprenant sud-africain Ross Branch qui a remporté l'étape 2 sur sa KTM privée avant de régulièrement s'illustrer malgré une épaule douloureuse après une grosse chute puis une crevaison qui lui a fait perdre plusieurs heures.
Le botswanais finit 21ème à 4h23 au général, mais avait le potentiel pour un Top 10 : de quoi lui ouvrir l'accès à un team d'usine ? Même satisfaction pour l'espagnol Jaume Betriu (KTM) qui termine 14ème à 3h30 : le premier "Rookie" du classement, juste devant le débutant Jamie MacCanney, sera à surveiller de près l'an prochain !
Bilan plutôt positif aussi pour Adrien Metge ci-dessus, premier pilote français avec la 12ème place sur sa moto nîmoise Sherco. Laia Sanz décroche pour sa part sa palme "habituelle" de première pilote féminine, à la 18ème position sur sa Gas Gas. Sa plus proche rivale, la hollandaise Mirjam Pol, finit 41ème à plus de dix heures de l'espagnole !
L'une des plus grosses déceptions de ce Dakar 2020 est à mettre au crédit de Yamaha, dont les deux pilotes officiels ont été rapidement fauchés par des chutes. D'abord Adrien Van Beveren, grand favori, qui s'est de nouveau fracturé l'épaule sur l'étape 3, puis Xavier de Soultrait qui s'est méchamment abîmé le poignet dans la foulée...
Franco Caimi sauve l'honneur à la 8ème position au général sur sa WRF450 d'usine, loin des légitimes ambitions de succès du clan Yamaha. Et pour "VBA", la désillusion est d'autant plus cuisante qu'il s'agit de son troisième abandon consécutifs après sa casse l'an dernier et sa mauvaise chute en 2018...
Impossible aussi d'évoquer ce Dakar 2020 sans une pensée émue pour Paulo Gonçalves, qui a trouvé la mort à 40 ans après une mauvaise chute sur l'étape 7... Le pilote portugais était très apprécié : l'émotion était vive durant la minute de silence qui lui a été consacrée le soir au bivouac, tandis que l'étape suivante a été annulée pour honorer sa mémoire.
Gonçalves - 2ème du Dakar 2015 - relevait un nouveau défi auprès du constructeur indien Hero après cinq années passées dans le team officiel Honda. Fiable, il avait occupé avec succès le rôle de "porteur d'eau" pour les têtes d'affiche du HRC et comptait plusieurs coups d'éclats à son actif.
Enfin, ce premier Dakar en Arabie saoudite aura été largement marqué par le choix de cette destination controversée par l'organisateur ASO... Le régime oppressif et inégalitaire du royaume et ses violences, notamment auprès des femmes, ne manquent pas de soulever l'indignation quant à cette association avec le Dakar.
«Non au rallye Dakar en Arabie saoudite». Manquements graves en matière de droits de l’homme, affaire Khashoggi, guerre et crise humanitaire au Yémen...quand la «diplomatie» du carnet de chèques prend le pas sur le #sport. Ma tribune dans @leJDD ici : https://t.co/78jQPwBtVM
— Régis JUANICO (@Juanico) December 29, 2019
Pour beaucoup, l'Arabie saoudite profite de ses immenses richesses tirées du pétrole pour "s'acheter" une meilleure image en organisant à grands frais des évènements sportifs, comme l'a fait avant lui des pays comme le Qatar. On évoque ainsi un contrat de cinq ans à 80 millions de dollars entre Ryad et ASO...
"L'Arabie saoudite est une véritable dictature", s'insurge Antoine Madelin de la Fédération internationale des droits de l'homme,. "C'est un pays où l'on exécute à tour de bras. L'année dernière, 180 personnes ont été décapitées, parmi lesquelles un enfant".
"Aujourd'hui, des femmes sont en prison en Arabie saoudite, parce qu'elles ont demandé le droit de pouvoir conduire, simplement pour ça", poursuit-il auprès de nos confrères de RFI. "Ceci concerne l'ensemble de conductrices et des conducteurs du Dakar. Les entreprises françaises, Amaury, tout comme le principal média de l'évènement, France Télévisions, apparaissent soit comme les premières victimes de la propagande saoudienne, soit comme les complices de cette propagande".
Pour d'autres, comme le pilote officiel Adrien Van Beveren, l'organisation du Dakar par l'Arabie saoudite est à prendre comme un encourageant signe d'ouverture de ce pays, comme il nous l'avait expliqué dans notre interview MNC réalisée au printemps dernier.
Interview MNC Adrien Van Beveren : "J'ai le niveau pour gagner le Dakar"
"C'est une bonne chose, on va découvrir un nouveau désert totalement vierge et il faut montrer que la France est un pays ouvert prêt à aider les autres : on doit leur donner une chance d'exprimer leur désir de changer", estime "VBA".
Les concurrents retiennent surtout la diversité des paysages de l'Arabie saoudite : la beauté des décors, notamment dans l’'Empty quarter", la plus grande étendue de sable au monde, prend le pas sur les considérations géopolitiques et la défence des principes. Après quelques jours de course, pilotes et équipes ont même finit par botter en touche aux questions sur cette destination polémique...
"On ne peut pas demander à des personnes qui participent à une compétition sportive d'être les porte-parole des problèmes des droits de l'homme dans ces pays-là : ce n'est pas notre rôle", estime auprès de France Info l'ancien triple vainqueur du Dakar, Hubert Auriol, dont les propos font écho à une position couramment défendue dans le bivouac.
Compréhensible au regard des enjeux sportifs et financiers : si un pilote décidait de boycotter l'épreuve pour manifester son désaccord, il serait simplement remplacé par un autre. Par ailleurs, difficile de leur reprocher de "fermer les yeux" sur le contexte sociétal alors qu'ils consacrent leur vie à s'entraîner dans le seul objectif du Dakar. Demande-t-on à Rossi et Marquez si ça ne les dérange pas de disputer des courses fastueuses en Thaïlande et en Malaisie, alors qu'une large de la population asiatique (sur)vit dans des conditions précaires ?
Reste à savoir si une telle épreuve fera rêver encore longtemps, malgré son statut de vitrine des sports mécaniques, à force de susciter autant de contestations : entre écologistes vent debout contre ce qu'ils considèrent être un gaspillage de ressources, les associations qui dénoncent les morts accidentelles qui lui sont associées et désormais les voix qui s'élèvent pour lui reprocher de faire la promotion d'un pays dictatorial et liberticides...
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