Avec l'inédite R nineT, BMW jette un pavé soigneusement calibré dans la mare des motos classiques. Les savoureuses Honda CB1100 EX et Triumph Bonneville T100, subtilement retouchées en 2014, sauront-elles éviter les éclaboussures ? Essai comparatif rétro.
Aphone, le bicylindre à plat de la R NineT ne l'est assurément pas : le bloc issu de la R1200R - avec une injection et un échappement retravaillés ainsi qu'une transmission finale plus courte - souffle avec conviction dans ses superbes échappements "Akra", au point de totalement couvrir les timides vocalises de la Honda et de la Triumph.
Sa sonorité aux accents rugueux est de surcroît ponctuée de pétarades à la coupure des gaz qui s'ajoutent au couple de renversement du moteur et à ses vibrations - vraiment présentes entre 6000 et 9000 tr/mn - pour lui conférer un caractère très marqué. Si le "dogue allemand" mord aussi fort qu'il aboie, ses victimes vont déguster...
Et c'est précisément le cas puisque quel que soit le rapport ou le régime, la R nineT ne fait qu'une bouchée de la Honda CB1100 EX et de la Triumph Bonneville T100. On pressentait qu'avec 110 ch et 119 Nm dans les carters, le bloc BMW dicterait sa loi... mais pas à ce point : même avec un rapport de plus que la Japonaise et l'Anglaise, l'Allemande les laisse sur place !
L'explication d'un tel écart de performances tient essentiellement à sa mécanique plus moderne et poussée, notamment sa distribution par linguets. Mais son poids moins élevé joue aussi un rôle non négligeable, surtout par rapport à la lourde Honda : annoncée à 222 kg avec 90% du plein, la BMW est presque 40 kg plus légère que la CB1100 EX (260 kg tous pleins faits) !
Avec la Triumph, l'écart est d'environ 10 kg (230 kg tous pleins faits), une valeur peu élevée dans l'absolu au détail près que l'Anglaise possède - comme la CB1100 - une transmission finale par chaîne alors que l'Allemande transmet sa fougue via un arbre à cardans.
Voila qui en dit long sur les efforts déployés et la qualité des matériaux utilisés par les ingénieurs d'outre-Rhin pour contenir le poids. Sur la R nineT, le réservoir en aluminium de 18 litres - brossé à la main sur ses flancs - n'est pas là que pour faire joli : ce cher matériau est aussi plus léger que l'acier utilisé sur la Triumph et la Honda.
Classique ascendant sportif !
Dynamiquement, le comportement de la BMW est à l'image de ce fort tempérament mécanique. D'ailleurs, sa position de conduite annonce immédiatement la couleur : ses repose-pieds sont les plus hauts et les plus reculés, sa selle fine devient vite inconfortable tandis que son guidon large n'est pas aussi rehaussé. En comparaison, la Bonneville T100 passerait presque pour un custom avec son guidon aux branches généreusement relevées !
Basse (775 mm de hauteur de selle contre 785 pour la BMW et 795 pour la Honda) et extrêmement fine à l'entrejambe, la Triumph est la plus accessible des trois. Bien installé sur son assise moelleuse - mais peu adaptée aux longs trajets car trop étroite pour y poser toute la surface d'un postérieur en taille 38 ! -, on fait rapidement corps avec la moto. Certaines de ses particularités demandent toutefois à être intégrées...
Il faut déjà trouver le contacteur installé sur la gauche de la colonne de direction (le Neiman se trouvant, lui, sur la droite), puis se faire à l'inertie supplémentaire induite par sa roue avant en 19 pouces. La belle anglaise y perd en agilité ce qu'elle gagne en look. De plus, son injection n'est pas parfaitement calibrée, sa sélection est lente - mais précise - et sa transmission finale génère de légers à-coups à la reprise du filet de gaz.
Enfin, son dispositif de freinage est "à l'ancienne", ce qui signifie que le convaincant frein arrière est fréquemment sollicité pour seconder son perfectible homologue avant. Le levier droit offre en effet un touché assez spongieux et la puissance délivrée par l'unique étrier à deux pistons est loin d'être intimidante. L'avantage, c'est que l'absence d'ABS - de série sur ses deux rivales - est moins préoccupante !
Sur la Honda, aucun mode d'emploi ni période d'acclimatation ne sont requises tant elle s'avère confondante de naturel et de neutralité. Sa masse considérable se fait oublier dès le premier tour de roue (oui, le premier !) grâce à un équilibre proche de la perfection et à des commandes aussi onctueuses que précises.
Saine et intuitive, la CB1100 EX plonge en courbes avec fluidité, même lorsqu'on la malmène gentiment en s'appuyant sur un dispositif de freinage dosable et performant. Seul l'abandon du pratique système de couplage arrière-avant prête à notre goût le flanc à la critique...
Beaucoup plus confortable qu'en 2013 grâce à sa selle mieux rembourrée, la CB1100 EX gomme toutes les aspérités de la route avec douceur. Ses suspensions bénéficient d'un excellent compromis entre dynamisme et confort. Dommage qu'une garde au sol vraiment réduite - la moins bonne des trois, et de loin ! - grève autant ses capacités. Certains customs sont mieux lotis en la matière !
Sur la Triumph, la fourche s'affaisse trop rapidement au freinage tandis que ses combinés arrière manquent de progressivité sur les gros chocs et de réactivité sur les successions d'irrégularités. Poussée dans ses retranchements - ce pour quoi elle n'est pas vraiment conçue -, la Bonnie devient remuante, la rigidité de son cadre berceau pouvant être mise à mal sous de très fortes contraintes.
A l'opposé, la rigueur de la nineT semble ne jamais pouvoir être prise en défaut. Maniable à basse vitesse grâce au bras de levier engendré par son large guidon et son architecture moteur propice à l'abaissement du centre de gravité, la BMW se montre précise à placer. Son châssis très rigide, ses suspensions plus sèches et son freinage extrêmement mordant à l'avant la rendent en revanche plus exigeante que la Honda et la Triumph.
Malgré la précision de son accélérateur et l'agrément de sa transmission acatène, la R nineT demande ainsi plus d'attention à la remise de gaz. En cas de ré-accélérations trop optimistes ou de crispation au guidon, il est même possible d'arriver aux limites de sa motricité ou de mettre à contribution son amortisseur de direction.
Il faut y voir le défaut de l'une de ses qualités, un remplissage et un rendement mécaniques beaucoup plus élevés que ses rivales. Motard à la recherche d'une classique pour se racheter une conduite plus apaisée, passez votre chemin : la rétro BMW freine comme un roadster sportif et tient à peine moins bien le parquet ! A son propriétaire d'en supporter les conséquences, entre autres un confort en retrait, de selle comme d'amortissement…
Verdict : Honda et Triumph bétonnent, BMW détonne !
Pas facile de départager objectivement ces trois motos puisque ce sont leurs charmes, leur caractère et le cortège d'émotions provoquées par ces caractéristiques qui les distinguent... Or il s'agit de notions éminemment subjectives qui varient en fonction des exigences et des préférences de chacun... et qui sont donc impossibles à quantifier !
Même certains de leurs défauts participent à les rendre attachantes, comme le ralenti parfois chaotique de la Bonneville T100 à froid, la garde au sol "XXS" de la CB1100 EX qui oblige à arrondir ses trajectoires, ou le freinage aussi mordant qu'un pitbull de la R nineT à l'avant (à l'arrière, le dosage délicat entraîne facilement des interventions de l'ABS).
Néanmoins, si l'on dresse un bilan complet des qualités et des défauts de chacune de ces trois rétros, la CB1100 EX remporte ce comparatif spécial motos classiques. Son homogénéité et son équilibre font mouche, tout comme sa finition irréprochable et les efforts déployés par Honda pour la rendre aussi désirable à regarder qu'agréable à piloter, y compris au quotidien.
La Japonaise est effectivement la mieux lotie côté aspects pratiques : son instrumentation est la plus complète (mais pas la plus lisible, au niveau des infos dans sa fenêtre digitale notamment) et sa béquille centrale de série (en option sur la Triumph, non disponible sur la BMW) facilite certains stationnements et les opérations d'entretien. Et son coffre est le seul à pouvoir transporter un antivol (U spécifique). Sur une moto aussi attirante et chère (12 599 €), ce n'est pas du luxe !
Sur la "Bonnie" comme sur la R nineT, la selle n'abrite aucun espace de rangement et se démonte avec un outil. L'Allemande prend l'avantage sur l'Anglaise grâce à sa console plus fournie, son bouchon d'essence sur charnière et fermant à clé (idem sur CB1100) et sa prise 12 V au dessus de son cylindre gauche. La Bonneville T100 lui oppose une pratique poignée de maintien (absente sur la R nineT et inconfortable sur la Honda car prenant la forme d'encoches creusées trop basses) et un meilleur rayon de braquage (mesures MNC dans notre fiche technique).
Sur le plan de la qualité de réalisation et de la finition, la BMW et la Triumph placent la barre très haut, à l'image de la Honda. Cependant, quelques petits détails chagrinent sur la R nineT comme son instrumentation en plastique de présentation austère, sa valve à l'échappement aussi discrète et attirante qu'un bouton de fièvre ou son admission un peu fouillis directement exposée au regard - quel que soit le côté - à cause de l'architecture moteur.
Certes, son réservoir en aluminium, son train avant de Superbike, ses silencieux brossés ou le traitement grenaillé de nombre de ses pièces (pied de fourche, notamment) produisent un effet "boeuf". Mais au regard de son tarif élitiste (15 000 €, soit 1800 euros de plus que la R1200R à qui elle reprend moteur et châssis et 2050 euros de plus que la toute nouvelle S1000R), les exigences à son encontre sont forcément plus élevées !
De son côté, la Bonneville T100 se tire sans sourciller d'un examen visuel attentif, à l'exception du régulateur de tension placé entre ses tés de fourche. Sa peinture et ses traitements de surface sont aussi qualitatifs et résistants que ceux de la Honda et son assemblage ne souffre d'aucun laisser-aller. A 9940 €, l'icône du segment vintage est en outre la moins chère de ce comparatif, ce qui n'est pas un mince argument même pour ce type de motos "passion".
.
.
CONDITIONS ET PARCOURS | ||
| ||
POINTS FORTS BMW R NINE-T | ||
| ||
POINTS FAIBLES BMW R NINE-T | ||
| ||
POINTS FORTS HONDA CB1100 EX | ||
| ||
POINTS FAIBLES HONDA CB1100 EX | ||
| ||
POINTS FORTS TRIUMPH BONNEVILLE T100 | ||
| ||
POINTS FAIBLES TRIUMPH BONNEVILLE T100 | ||
| ||
Commentaires
Ajouter un commentaire
Identifiez-vous pour publier un commentaire.