
Cet été, Honda a réalisé - réussi ! - le premier essai de lancement et d'atterrissage d'une fusée ''durable''. Oui, comme la X-FLR 6 de Tintin ou la Starship de Musk… Pourquoi le numéro un mondial et français de la moto, qui commercialise déjà de petits avions, se lance à l'assaut de l'espace ? Les ingénieurs s'expliquent...
Cette toute nouvelle Honda mesure 6,3 mètres de long - de haut ! - pour 85 centimètres de diamètre, pèse 900 kilogrammes à sec et 1312 avec les pleins… Autant dire, une enclume ? Bien au contraire. Il s'agit d'une fusée qui s'est élevée le 17 juin dernier à 274 mètres d'altitude, puis est revenue 56,6 secondes plus tard à à 37 petits centimètres de sa cible !
Pour rappel - ou info ? -, "Honda a entamé ses recherches dans le domaine spatial en 2019, travaillant sur trois projets : un système d'énergie renouvelable en circuit fermé, la robotique spatiale et les fusées réutilisables", indiquent les japonais qui ont par ailleurs déjà livré plus de 250 de leurs petits jets privés et bossent sur une version longue !
Employant tout un tas de technologies issues de son HondaJet justement, mais aussi de l'automobile et de la Formule 1 - et de la moto et du MotoGP, sans doute ? -, cette fusée "à la Hergé" qui décolle puis atterrit à la verticale, comme déjà parée pour un nouveau lancement, signifie-t-elle que la firme ailée compte bientôt concurrencer SpaceX ?

"Nous en sommes actuellement au stade de la recherche élémentaire, et il n'y a pas de décision prise quant à la commercialisation de cette technologie", indiquent les Rouges de Tokyo qui se fixent néanmoins pour objectif "d'être capable de réaliser un vol suborbital avant 2029".
Les savants-pas-fous-du-tout nippons osent cependant aller plus loin : "nous voulons créer un monde où les fusées privées voyagent entre l'espace et la Terre aussi couramment que les avions décollent et atterrissent dans les aéroports", imagine Kenichiro Ikeya, l'un des trois ingénieurs interrogés par Honda, et dont vous retrouverez la retranscription sous la vidéo...
Junichirō Ishimura, chef du projet de fusée durable : De nombreux employés de Honda partagent la conviction que si une idée peut être bénéfique, ils sont prêts à l'essayer. Nous ne nous considérons pas comme des entrepreneurs extravagants. Au-delà des automobiles et des motos, l'espace représente simplement un autre domaine potentiel.
Face à la limitation des ressources énergétiques terrestres, transporter systématiquement de l'énergie pour les activités spatiales ou utiliser des fusées à usage unique pour atteindre l'espace est une solution non viable. C'est pourquoi la mise en place d'un système de circulation de l'énergie dans l'espace est essentielle pour l'avenir de notre société. Nous sommes convaincus qu'en appliquant les diverses technologies clés de Honda à ces enjeux, nous pouvons contribuer à l'avènement d'une société durable et à l'amélioration du bien-être des populations.
De plus, c'est le rêve de jeunes ingénieurs de relever le défi de la conquête spatiale qui a donné naissance à ce projet. Donner une forme concrète à cette aspiration revêt une importance particulière, ce qui nous amène à conclure que cette entreprise est véritablement louable.

Ishimura San : Au départ, de nombreuses équipes menaient diverses activités de recherche. Nous avons regroupé ces efforts et créé l'Équipe de recherche spatiale en 2019, définissant ainsi les objectifs de Honda en matière d'exploration spatiale et les axes de recherche prioritaires. Conformément à cette stratégie, nous menons actuellement trois projets de recherche, dont un projet de fusée.

Ishimura San : Nous pensons que l'activité économique mondiale va évoluer, passant de la mobilité des personnes et des biens à la circulation des données, ce qui entraînera une explosion des flux de données. Honda a amélioré la vie des gens grâce à ses produits de mobilité terrestre, maritime et aérienne. Il est donc naturel pour Honda de contribuer à cette circulation des données, et nous considérons cela comme un élément essentiel de son évolution en tant qu'entreprise de mobilité.
Pour ce faire, nous avons besoin de davantage de satellites pour la communication de données, ce qui rend les fusées indispensables à leur transport dans l'espace. Or, les lancements de fusées actuellement opérationnelles sont extrêmement coûteux, ce qui constitue un obstacle majeur pour les entreprises privées et les start-ups. Afin de remédier à cette situation, nous souhaitons contribuer à l'expansion du réseau satellitaire en abaissant cet obstacle grâce à des initiatives telles que la réduction des coûts des fusées, l'amélioration de leur praticité et le développement de fusées de transport durables.

Ishimura San : En tant qu'entreprise respectueuse de l'environnement, Honda prend toujours en compte l'impact environnemental de ses activités de recherche et développement. Il en va de même pour les fusées. Malgré les défis technologiques importants, nous privilégions la réutilisation durable plutôt que la mise au rebut des fusées après chaque utilisation.
Kenichiro Ikeya, responsable de la mise en œuvre des expériences de fusées durables : De manière générale, les fusées partagent certains composants avec les automobiles, et nous exploitons des technologies clés telles que la combustion et le contrôle de la structure, développées dans le cadre de la conception de produits. Nous nous sommes également inspirés de technologies issues non seulement du secteur automobile, mais aussi de modèles comme le HondaJet et la Formule 1. Lors du développement de notre fusée expérimentale, nous avons consulté différents départements de l'entreprise, ce qui nous a permis de constater une fois de plus l'étendue des technologies et de l'expertise développées par Honda.

Ikeya San : La turbopompe, qui achemine le méthane et l'oxygène des réservoirs vers la chambre de combustion du moteur-fusée, a représenté le plus grand défi. Elle joue un rôle crucial, constituant en quelque sorte le cœur de la fusée. Les moteurs-fusées utilisent des ergols liquides à des températures extrêmement basses, comprises entre -160°C et -180°C environ, et nous ne possédions absolument aucune expertise préalable dans ce domaine au sein de l'entreprise.
Nous savions que développer notre propre turbopompe serait un défi de taille, mais nous sommes restés déterminés à le faire nous-mêmes. Nous avons persévéré dans le développement et avons réussi à l'installer sur notre fusée expérimentale pour les essais de lancement et d'atterrissage.

Asao Uenodai, responsable du développement durable des fusées : La turbopompe est un élément tellement crucial que ses performances déterminent en grande partie la qualité de la fusée. Même si nous avons finalement sous-traité cette technologie essentielle, nous estimions indispensable de la mettre en œuvre nous-mêmes au préalable afin d'en comprendre toute la complexité.
Ikeya San : Lors de notre essai de lancement et d'atterrissage, nous avons propulsé la fusée à une altitude de 271,4 mètres. Atteindre cette altitude est possible sans turbopompe. Cependant, l'objectif ultime de Honda est de placer des satellites dans l'espace. Puisqu'une turbopompe sera à terme indispensable pour atteindre l'espace, nous l'avons intégrée dès la phase expérimentale.
Ikeya San : Juste avant le lancement, un silence incroyable régnait au sol, empli d'une tension indescriptible. Malgré une préparation minutieuse, rien ne garantissait le succès de l'opération, même si nous avions envisagé tous les scénarios possibles. Tous retenaient leur souffle, les yeux rivés sur la fusée à travers les écrans.

Uenodai San : Pendant que les autres membres de l'équipe suivaient l'expérience sur leurs écrans depuis la salle de contrôle, je l'observais à l'extérieur, suffisamment loin de la rampe de lancement. Je n'oublierai jamais les acclamations retentissantes à la radio lorsque nous avons reçu la confirmation d'un atterrissage réussi.
Ikeya San : Je ne me souviens pas l'avoir fait, mais en visionnant les images de la caméra, j'étais en train de sauter de joie. C'était un peu gênant, mais j'avais vraiment envie de pleurer et j'ai serré les autres membres dans mes bras pour partager mon bonheur.
Ce que nous voulons, c'est que cela devienne la norme, et non l'exception. Nous voulons créer un monde où les fusées privées voyagent entre l'espace et la Terre aussi couramment que les avions décollent et atterrissent dans les aéroports.
Une fois que nous y parviendrons, il n'y aura plus cette excitation palpitante à chaque lancement, ni les acclamations après l'atterrissage, comme c'est le cas actuellement. Alors pour l'instant, je pense qu'il est acceptable de laisser libre cours à nos émotions.

Ikeya San : La fermeture des ailerons facilite les contrôles de sécurité après l'atterrissage, mais n'est pas strictement nécessaire. Cela dit, c'est plutôt impressionnant. On pourrait dire que c'est une obsession d'ingénieur.
Ikeya San : L'espace demeure un territoire largement inexploré. Pourtant, je suis convaincu que la réussite de ces recherches profitera sans aucun doute à la société. Rendre l'espace plus accessible et enrichir la vie des gens est un objectif auquel je compte consacrer tous mes efforts.
Uenodai San :Je souhaite moi aussi réaliser cette même mission : rendre l’espace plus accessible. Il y a une vingtaine d’années, je rêvais de devenir astronaute et, depuis, je nourris une véritable passion pour l’espace. Mon rêve personnel de contribuer au monde spatial est une motivation essentielle. Si je pouvais le réaliser grâce à une fusée que je construirais moi-même, je serais comblé.
Notre fondateur, Soichiro Honda, nous a laissé ces mots : "Ne travaillez pas pour l’entreprise, travaillez pour vous-même." Je souhaite contribuer à la société dans le domaine des fusées et de l’espace tout en réalisant mes propres rêves.
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