Les trails de moyenne cylindrée, jadis florissants, sont aujourd'hui en pleine mutation. Suzuki tente de renouveler le genre avec une offre alléchante : le formidable bicylindre de la SV 650 dans une partie cycle dérivée de l'excellente DL 1000. Essai.
La catégorie des trails de moyenne cylindrée, autrefois florissante, est aujourd'hui en pleine mutation. Alors que les trails monocylindres disparaissent, les constructeurs proposent surtout des trails de grosses cylindrées, des machines à la polyvalence remarquable mais lourdes et chères.
Où sont donc ces motos abordables et légères qui permettaient de tailler la route et de découvrir les chemins de traverse ?
Suzuki tente de renouveler le genre avec une offre alléchante : le formidable bicylindre de la SV650 dans une partie cycle dérivée de l'excellent DL 1000. Beaucoup d'amateurs de trails rêvaient depuis un moment de cette association. Va-t-elle satisfaire les nostalgiques du trail monocylindre ou séduire les amateurs de routières ?
La moto est assez imposante. Presque autant que sa grande soeur, la DL 1000 (lire Moto-Net du 14 juin 2003). Impression renforcée par un avant assez massif. Mais elle paraît plutôt basse pour un trail : on sent que l'orientation est résolument routière. Avec mes 1m87, j'ai toujours du mal à juger de la hauteur de selle d'une moto mais celle-ci semble plutôt raisonnable et les pieds sont bien à plat par terre.
Une fois en selle, le guidon large, l'imposante bulle et son pare-brise situé très en avant donne vraiment l'impression d'une grosse moto. D'autant plus qu'on est assis assez en arrière : pour un peu j'aurais presque l'impression d'être au guidon d'une GT ! Je m'attendais à une position plus typée "tout terrain", là c'est vraiment "confort".
Sur la route, la prise en main est facile grâce à un moteur et une boîte à l'agrément exceptionnel. On retrouve toutes les qualités du SV : le moteur est vif, plein de caractère tout en restant docile même aux bas régimes, et il émet une sonorité sympathique à l'accélération. Les changements de vitesse se font tout en douceur et l'embrayage est même plus progressif que sur un SV, ce qui correspond bien à l'esprit trail.
A basse vitesse, la moto est bien équilibrée et le rayon de braquage est vraiment très court. En ville, on oublie vite l'imposant carénage pour se faufiler dans le trafic sur un filet de gaz. Il y a même des feux de détresse pour remonter les files sur le périphérique : de loin, on doit me prendre pour une BMW ! D'ailleurs, le tableau de bord est très complet et bien plus lisible que celui des premiers DL 1000. Très pratique pour garder un oeil sur sa vitesse et déjouer les radars !
Après ce test urbain, il est temps de s'évader pour trouver d'autres terrains de jeux. Deux sacoches cavalières et un sac accroché sur le superbe et spacieux porte bagages en alu (c'est du costaud et les crochets sont pratiques, un bon point si on veut voyager) et hop : direction les Ardennes par l'autoroute A4.
En croisant à 140, j'ai presque l'impression d'être dans une voiture (sans chauffage !). La selle est confortable avec un dosseret qui maintient bien, la protection aérodynamique est franchement excellente, juste quelques remous en haut du casque pour un grand échalas comme moi, mais on peut relever la bulle de 50 mm à condition de sortir les outils. Et tout ça presque sans vibrations. C'est vraiment une petite GT qui vous emmènera très loin sans fatigue.
A 160, c'est toujours le grand confort et on dispose encore d'une bonne réserve de puissance. Au-delà, le moteur s'essouffle un peu car la 6ème est très longue. Cela préserve certainement le moteur sur autoroute mais on pourra sans doute enlever une dent au pignon de sortie de boîte pour une utilisation plus "dynamique". Avec les bagages, je plafonne entre 180 et 190 compteur (sur la portion allemande de l'A4, bien entendu). C'est relativement modeste pour les 76 chevaux de la moto, mais c'est sans doute la conséquence de la très bonne protection.
En tout cas, c'est largement suffisant par les temps qui courent ! Bon point également pour les rétroviseurs : le champ de vision est bien dégagé et ils ne vibrent pas. Après 220 km, le voyant de réserve clignote. Il est temps de passer à la pompe et de se réchauffer un peu, car la température est à peine au-dessus de 0°C et mes doigts sont très engourdis (la DL650 est malheureusement privée des protège-mains de sa grande soeur DL 1000).
17 litres de plus dans le réservoir, soit une consommation de près de 8 litres aux 100. Un peu élevé, mais je suis chargé et je n'ai pas traîné. Avec la capacité de 22 l, il restait largement de quoi faire plus de 50 km. La jauge à essence est précise et bien calibrée.
Il est maintenant temps de quitter l'autoroute pour rentrer dans le vif du sujet : la traversée des Ardennes, de Charleville-Mézières à Luxembourg. La plupart des motards parisiens l'ignorent, mais voilà un magnifique terrain de jeu situé à peine à 200 km de la capitale. Nos amis belges ne s'y trompent pas et on en croise beaucoup dans le coin. De Réthel à Charleville, ça commence par de petites routes qui font à peine de la largeur d'une voiture, bosselées et à moitié recouvertes de boue. De la route à trails, quoi !
D'emblée, je sens bien la moto. On dose facilement les gaz, pas de réactions brutales au rétrogradage. Elle tourne d'un bloc et se met à glisser de façon progressive quand on atteint la limite d'adhérence. Les suspensions préservent le confort sans être molles, la moto est bien amortie et ne rebondit pas. Le freinage manque de mordant par rapport à une routière, mais ça devient un avantage sur ce genre de terrain. On peut freiner de l'avant sans craindre de bloquer la roue trop facilement quand l'adhérence est précaire. Tout à fait dans l'esprit trail. En fait, la moto se fait oublier et je me surprends à hausser naturellement le rythme. Mais il faut prendre garde à l'excès de confiance, car entre les bouses et les tracteurs, ces routes sont particulièrement traîtresses !
Après Charleville, les Gorges de la Meuse offrent de magnifiques virages. Dans une montée aux voies dédoublées et bien revêtue, je peux envoyer du gros gaz : la moto vire sur l'angle sans broncher et là, il pourrait y avoir quelques chevaux de plus... mais pour ça il y a le DL 1000 !
Au passage de la frontière belge, la route devient plus étroite, bosselée avec de méchants raccords de bitume. Les suspensions ont fort à faire et ça chahute pas mal ! Si je maintiens le rythme, la fourche montre ses limites sur les freinages. La roue avant rebondit et il faut sérieusement empoigner le guidon pour tenir la bête. Dans ce cas, je regrette la position un peu trop GT et j'aimerais être assis plus en avant. De même, l'arrière se balade un peu à la réaccélération. La moto n'est pas aidée par les pneus Bridgestone Trailwing d'origine qui, s'ils réagissent de façon progressive, n'offrent pas un grip phénoménal.
Mais il s'agit quand même là de conditions un peu extrêmes. L'important, c'est que la moto reste toujours saine et réagit de façon progressive. On est en confiance et on peut vraiment s'amuser à son guidon. Et bien menée, elle peut certainement en remontrer à bien des motos plus prestigieuses sur ce genre de routes !
De Bouillon (magnifique cité médiévale au bord de la Meuse) à Luxembourg, ce sont de belles nationales vallonnées où les grandes courbes s'enchaînent. Sur ce type de routes assez roulantes, on profite au maximum du caractère bien plein du twin et de sa sonorité sympathique. L'agrément est nettement supérieur à un trail monocylindre. Je refais le plein à Luxembourg et la consommation sur route s'établit à environ 7 litres aux 100. Mais quel plaisir de payer le 95 au prix du gazole chez nous !
C'est aussi l'occasion de détailler la moto. Le look ne surprend pas puisqu'il est largement inspiré du DL 1000. Même si tous les goûts existent dans la nature, il faut admettre que l'esthétique n'est pas vraiment son point fort... Si l'avant très massif manque de grâce, il a au moins le mérite d'afficher une certaine personnalité. Mais l'arrière est vraiment lourdingue : flancs taillés à la serpe, garde-boue arrière grossier, et les doubles pots pourtant réussis du DL 1000 ont été remplacés par un gros silencieux placé à droite. Le bras oscillant est bien en alu mais les supports de repose-pieds passagers, en tubes d'acier peints en noir, ne sont pas très flatteurs même s'ils sont parfaitement fonctionnels. Seul le beau et robuste porte bagage en alu intégrant de larges poignées passager sauve l'honneur.
De même, on ne peut qu'apprécier la bulle réglable en hauteur, tout comme le tableau de bord lisible et très complet : 2 trips, horloge, jauge a essence, température d'eau, feux de détresse. Mais on aurait aimé un antidémarrage à clé codée. La poignée de frein est réglable à quatre positions mais pas l'embrayage... et comme il est très éloigné, mieux vaut avoir de grandes mains !
La serrure pour libérer la selle est située sous le feu arrière, ce qui s'avère pratique à l'usage mais comme souvent avec les trails, la place sous la selle est très limitée : on y logera un mini U et en forçant bien une légère combinaison de pluie. La trousse à outils est complète mais de la qualité habituelle, c'est-à-dire très médiocre (en particulier la pince, juste bonne pour la poubelle !). L'amortisseur est réglable en précharge par une grosse molette très accessible. Pas d'autre réglage de suspension, ce qui n'est pas choquant sur une moto de ce type. En dehors de quelques économies contestables, la finition est bonne et plutôt en progrès pour une Suzuki, en particulier la peinture. A noter toutefois le mauvais ajustage des plastiques de la bulle.
Finalement, la seule véritable fausse note côté équipement est l'absence de béquille centrale. Et pour ceux qui voudront tâter des chemins, il faudra prévoir une protection pour le moteur. Car c'est un cadre ouvert et le radiateur d'huile, le filtre à huile et l'échappement sont aussi exposés que sur un SV ! Un sabot robuste s'impose avant toute tentative de franchissement, d'autant que la garde au sol est quand même assez basse. Malheureusement, Suzuki ne prévoit rien de ce genre en option.
Pour vérifier si le DL650 mérite son nom de trail, j'emprunte les nombreux chemins de terre qu'on trouve dans le nord du Luxembourg. Il s'agit de pistes roulantes bien entendu, pas de véritable tout-terrain. Il faut garder à l'esprit qu'avec ce genre de trails routiers multicylindres, si la moto commence à partir il n'y a aucune chance de la rattraper et il vaut mieux la laisser tomber (c'est d'ailleurs ce que BMW enseigne dans ses stages tout-terrain). Résultat : tout se passe bien grâce au moteur docile à bas régime, à l'embrayage progressif et à la partie cycle bien équilibrée. Même la position debout est assez agréable. C'est seulement quand on veut se rasseoir qu'on tombe invariablement sur le réservoir !
Le duo est également très agréable, avec des repose-pieds situés assez bas et de larges poignées de maintien bien placées. Mais c'est probablement le seul usage pour lequel le DL 1000 est probablement plus indiqué.
Le retour à Paris, de nuit, permet de vérifier la qualité de l'éclairage : le faisceau est très large en code et éclaire bien les bords de la route. En pleins phares, le faisceau éclaire loin mais il est trop focalisé et laisse les côtés dans l'ombre. Mais quel progrès par rapport aux motos d'il y a seulement cinq ans !
Au final, le bilan est largement positif. Face à une Transalp fonctionnelle mais un peu soporifique, la DL 650 rajeunit le concept des trails de moyenne cylindrée. Elle est vraiment de la race de celles qui savent tout faire : pratique pour aller au boulot tous les jours, joueuse pour s 'amuser en balade le week-end, confortable et endurante pour vous emmener au bout de l'Europe si vous le souhaitez ! En tout cas, ce n'est en aucun cas une DL 1000 au rabais. Elle est même plus homogène et plus facile. La DL 650 peut aussi concurrencer les routières de moyenne cylindrée comme la Fazer ou la nouvelle Honda CBF600.
Mais curieusement, cette polyvalence pourrait dérouter les acheteurs : en faisant son choix, le motard est souvent aussi en quête d'identité et il apprécie que sa machine reflète sa conception de la moto. Les motos trop polyvalentes brouillent les cartes et il leur faut une forte personnalité, en particulier esthétique, pour s'imposer (comme par exemple les TDM, VFR ou R1150GS).
Or c'est loin d'être le cas de cette V-Strom. On sent que son cahier des charges a été fortement inspiré de certaines motos bavaroises dont la fonctionnalité prime sur le look, mais Suzuki n'est pas BMW et le résultat manque cruellement de personnalité. Suzuki avait déjà fait le coup avec la Freewind, copie fadasse de la BMW F650, qui était en fait une excellente moto.
Là encore, cette moto ne satisfera que ceux qui sauront voir ses qualités dynamiques et pratiques et pourront oublier son manque de séduction. En somme, c'est une moto d'initiés...
Fiche technique (données constructeur) | |
Moteur | |
Type | Bicylindre en V, 8 soupapes, refroidissement liquide |
Cylindrée | 645 cc |
Alimentation | Injection 39 mm |
Boîte de vitesse | 6 rapports |
Partie cycle | |
Cadre | Périmétrique en aluminium |
Suspension AV | Fourche télescopique, compression réglable |
Suspension AR | Mono amortisseur réglable |
Pneu AV | 110/80R 19 M/C |
Pneu AR | 150/70R17 M/C |
Frein avant | Double disque 310 mm, étriers 2 pistons |
Frein arrière | Simple disque 260 mm |
Dimensions | |
Longueur | 2 290 mm |
Hauteur de selle | 820 mm |
Garde au sol | 165 mm |
Empattement | 1 540 mm |
Réservoir | 22 litres |
Poids à sec | 189 kg |
Informations commerciales | |
Coloris | Bleu, noir, gris |
Prix | 7 469 € |
Précisions
Un lecteur particulièrement vigilant nous a signalé que la petite V-Strom ne développait que 67ch et non 76ch comme nous l'avions mentionné. Fort de mes bonnes impressions d’essai, j’avais supposé un peu vite que la DL650 développait la même puissance que la SV650, c’est a dire 76ch. Je m’étais pourtant étonné de la vitesse de pointe un peu faible pour une telle puissance et du caractère plus rond et plus docile du moteur comparé à celui de la SV650.
Or c’est notre lecteur qui a raison ! Suzuki a retravaillé le moteur avec de nouveaux arbres à cames, une nouvelle admission, une cartographie d’allumage et d’injection modifiée pour favoriser le couple et la puissance en bas. Du coup, la puissance maxi diminue et développe tout juste 49kW, soit 66.6chevaux. à 8 800 t/mn. Mais le couple maxi progresse à 60Nm.
Cela ne change rien aux qualités de cette moto. Suzuki a fait le bon choix pour un trail en favorisant la facilité d’exploitation plutôt que la puissance pure. Il est par exemple assez facile de bloquer la roue arrière au rétrogradage sur une SV650, alors que ça ferait plutôt désordre sur la V-Strom, qui impressionne favorablement par sa vitesse maximum et ses performances !
En revanche, je n’ai pas ressenti de vibrations anormales pour un twin. Peut-être notre lecteur est il un habitué des 4 cylindres ?
D’autres lecteurs regrettent que ce trail soit trop routier, loin de l’esprit "dual sport" des premières XT ou DR. Je partage ces regrets, mais nous avons souhaité juger cette moto pour ce qu’elle est : un trail routier.
Une suggestion toutefois pour Suzuki, avant qu'il nous ponde un éventuel clone Kawasaki de la DL650 : pourquoi ne pas faire plutôt une version dépouillée allégée de 25 kg, avec un modèle à roue avant de 21 peint en vert typé enduro et un modèle à roue avant de 17 avec gros freins et moteur de SV, peint en orange typé supermot’ ?
Enfin, le prix de vente de la DL650 aux Etats-Unis a de quoi écoeurer le motard français : à 6 600 US$ (soit 5 100 € au taux de change actuel), la belle coûte carrément 2 300 euros de moins...
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