Au lendemain du salon de la moto de Zurich, MNC a rencontré le président de l'association des importateurs suisses. La moto est-elle en danger ? Interview et coup de projecteur sur un marché qui affiche autant de spécificités que la Suisse elle-même...
Moto-Net.Com : Pourquoi ouvrir le salon Swiss Moto 2014 sous ce titre, "La moto en danger" ? Quels sont ces dangers ?
Roland Müntener : En Suisse, nous avons la chance d'avoir un marché en relative bonne santé, alors que cela a été difficile dans les pays qui nous entourent. Les choses vont bien en Suisse en général d'ailleurs, de sorte que nos politiciens et divers groupes d'intérêts ne trouvent rien de mieux à faire, entre autres, que de focaliser leur attention sur la moto, usant de vieux clichés comme le bruit ou la vitesse excessive pour rassembler les doléances de tous les "antis-moto" du pays... Aujourd'hui, le plus grand danger pour la moto en Suisse ce n'est ni l'économie, ni la météo... mais bien nos politiciens ! Par exemple, nous allons adopter les nouvelles normes européennes pour l'obtention du permis de conduire en 2017, une occasion de plus de rendre l'accès au permis encore plus difficile en modifiant pour l'occasion toutes les procédures en cours. La Suisse est probablement l'un des pays où la notion de sécurité est la plus poussée, dans tous les domaines. Quand vous arrivez sur la place publique ou dans des débats parlementaires avec la notion de "manque de sécurité", vous gagnez toujours ! C'est là un grand problème pour la moto...
MNC : La moto est-elle toujours autant liée à la notion de liberté, ou est-elle devenue "un loisir comme un autre" ?
R. M. : Il faut bien reconnaitre que "l'esprit rebelle" tel qu'il était vécu par les motards des années 60 et 70 n'est plus d'actualité. Je pense que c'est devenu plutôt une alternative au travail et autres contingences journalières : vous prenez votre moto, vous roulez quelques kilomètres et vous vous payez un peu de liberté pour vous-même... C'est en effet un loisir que l'on aménage entre ses diverses obligations. Lorsque j'ai commencé la moto, le simple fait de rouler en moto signifiait quelque chose, une attitude rebelle, "être un peu contre tout", et ceci n'est vraiment plus le cas aujourd'hui. En Suisse, c'est devenu "à la mode", une façon de projeter son statut, comme le montre justement le fait que des marques comme Harley-Davidson et BMW soient en tête chez nous.
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MNC : La Suisse a-t-elle mis en place une politique de répression spécifique à la moto ?
R. M. : Je ne pense pas. En fait, vers 2008 / 2009, la moto sportive a été "politiquement tuée", avec une élévation très sensible des pénalités en termes de loi sur la circulation routière. On voit que les choses se passent de la même façon maintenant dans les pays qui nous entourent. La situation est telle qu'il n'est même plus besoin de mettre une pression spécifique sur les deux-roues. Bien-sûr, en saison, vous trouverez toujours dans les lieux de passages ou de rassemblements importants des contrôles de police qui ne portent pas la moindre attention aux autres véhicules ! Mais si l'on regarde du coté de l'ensemble de la population, il faut reconnaître que la moto n'a jamais été aussi bien acceptée que de nos jours. Rien à voir avec la situation que nous vivions il y a 20 ou 30 ans !
MNC : Comment le monde de la moto en Suisse peut-il assurer son avenir ?
R. M. : Je pense que si les choses continuent comme maintenant, nous aurons un brillant avenir ! C'est la raison pour laquelle mon allocution mentionnait que les dangers pour la moto venaient de nous-mêmes, lorsque par exemple nous votons pour des gens qui ne défendent pas nos intérêts et font plutôt le contraire. Mais la vérité est que je serais très heureux si les éléments de la situation telle qu'elle se présente aujourd'hui pouvaient ne pas changer pour les 20 ou 30 prochaines années ! Encore une fois, le danger est majoritairement politique : certains courants voudraient forcer tout le monde à utiliser les transports publics, par exemple. Ils ne se rendent pas compte que les transports publics sont certes une des solutions aux problèmes de transports, mais certainement pas la seule !
MNC : On observe de très grandes différences entre les grandes villes de Suisse, au sujet de l'utilisation des couloirs de bus par exemple, pour fluidifier la circulation : Totalement interdit à Zurich, Berne ou même Lausanne pourtant romande, alors qu'à Genève, par exemple, on roule en pratique comme dans la plupart des villes françaises. Dans quel sens cela va-t-il aller en Suisse ?
R. M. : Il y a eu une expérience pilote justement, dans le canton d'Argovie (dans le nord du pays, NDLR). Cela a très bien marché, si l'on peut dire. Le problème est que maintenant plus personne n'en parle ! Pour moi, le débat se situe clairement au niveau de l'équilibre à trouver entre garantir un certain niveau de liberté individuelle et conserver un budget équilibré : plus vous laissez de libertés aux usagers et moins vous avez de contraventions dans votre budget ! Les deux-roues en milieu citadin sont pourtant la solution idéale aux problèmes de mobilité. On peut imaginer que ce concept deviendrait plus "acceptable" lorsqu'il y aura plus de deux-roues électriques ? J'imagine que les milieux écologistes accepteraient que de tels véhicules jouissent de cet avantage.
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MNC : Les circuits de compétition sont toujours interdits en Suisse. Y a-t-il une chance de voir un jour des circuits dédiés en partie à la formation et aux loisirs, et en partie à la compétition ?
R. M. : Cette interdiction date du célèbre accident ayant impliqué Mercedes-Benz au Mans en 1955, le plus grave accident de l'histoire du sport automobile. Nos autorités ont alors décidé d'appliquer le principe de précaution, bien que cela n'implique aucunement notre pays. La situation est aujourd'hui inchangée. Il y a déjà eu deux interventions parlementaires pour abroger cette loi, mais aucune n'a abouti. Il existe encore des projets, politiquement d'une part, économiquement de l'autre, pour faire changer les choses, mais il est trop tôt pour savoir ce qu'il en adviendra. Le problème vient aussi du fait que notre Parlement est composé de beaucoup de gens qui ne font pas de moto et n'utilisent pas même de voiture. Ces gens ont de la peine à accepter et comprendre les arguments ou les choix des autres. Qu'ils aiment se balader en forêt et cueillir des champignons ne me pose aucun problème, mon choix d'utiliser une moto ne devrait pas en être un pour eux !
MNC : A quoi attribuez-vous l'excellente santé du marché suisse, comparé à ses voisins ? Cela va-t-il durer ?
R. M. : C'est une combinaison de facteurs. Nous avons la chance de compter un grand nombre d'itinéraires particulièrement adaptés à la pratique de la moto, de grands cols en nombre, des paysages magnifiques, un excellent état des infrastructures routières, etc. La bonne santé économique de notre pays fait le reste.
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MNC : Aux deux premières places du classement des constructeurs se trouvent Harley-Davidson et BMW. Faut-il en déduire qu'en Suisse la moto est une affaire de riches, ou qu'elle est considérée avant tout comme un loisir ?
R. M. : C'est un peu une question d'image mais plus concrètement, les difficultés rencontrées par les fabricants japonais en raison de la valeur du yen ces dernières années sont pour une bonne part dans ce résultat. Il est difficile pour eux de réaliser les marges nécessaires au vu des quantités écoulées. Ils ne peuvent donc plus avancer comme avant l'argument du prix alors qu'en face d'eux, des constructeurs peuvent se targuer d'une longue histoire (notamment 110 ans pour Harley et 90 ans pour BMW, NDLR). La chute du dollar ou de l'euro en même temps a donc considérablement changé la donne, puisque le credo des constructeurs japonais - haute qualité pour un prix abordable - ne pouvait plus durer dans ces conditions. Il y a aussi le fait que "le plus petit marché d'Europe" n'a jamais constitué pour les constructeurs européens le même défi que pour les japonais, habitués à des quantités très supérieures (à titre d'exemple, KTM, Triumph et Ducati réalisent des résultats seulement inférieurs de moitié environ à ceux de Honda, Kawasaki et Yamaha, NDLR). Enfin, pour répondre plus directement à votre question, BMW et Harley-Davidson n'ont jamais été aussi accessibles qu'ils le sont aujourd'hui. En outre, Harley-Davidson est une marque que même les non-motards voient partout, dans la communication, les shows télévisés, etc.. Cela doit représenter une sorte de rêve d'en posséder une un jour.
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