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AUX PREMIÈRES LOGES
Paris, le 6 mai 2021

Interview Dr Dufour : a priori pour Fabio Quartararo, c’est tout bon !

Interview Dr Dufour : a priori pour Fabio Quartararo, c’est tout bon !

Moto-Net.Com s’est entretenu avec le chirurgien qui vient d’opérer Fabio Quartararo, qui a réparé Mahias, Baz, De Puniet, Bolley (premier d'une longue liste) et qui a décrit le syndrome de loge d'effort chronique il y a près de 30 ans ! Les nouvelles de notre "diablo-lique" prodige en MotoGP sont rassurantes. Interview MNC du docteur Olivier Dufour.

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Moto-Net.Com : Bonjour Docteur, quel était le problème de Fabio Quartararo au GP d’Espagne 2021 ?
Docteur Dufour, chef du service Chirurgie orthopédique et traumatologique du centre hospitalier du Pays d’Aix :
Il était double. L’échographie Doppler dynamique a permis de confirmer le syndrome de loge d’effort chronique, mais aussi de détecter un piège au niveau de l’artère cubitale.

MNC : Et c’est grave, Docteur ?
Dr D. :
Chez les motards, le muscle cubital antérieur est trop puissant, car le guidon est incurvé à ses deux extrémités ce qui met les poignets constamment en contrainte. La contraction bouche la petite artère cubitale, et l’intervention consiste à la libérer.

Syndrome de loge... et piège au niveau de l’artère cubitale

MNC : C’est donc fréquents chez les pilotes ?
Dr D. :
Cela s’observe chez les sportifs qui contractent ce muscle de manière prolongée. Mais il y a très peu de disciplines touchées : moto, jetski, quad... et parfois le conga (instrument de percussion très populaire en Amérique latine... et en Andorre, NDLR ?!). Certains athlètes aux avant-bras très volumineux ne sont pas touchés : les joueurs de tennis ou les adeptes de gonflette n’ont pas de syndrome de loge car leurs efforts s’arrêtent au bout d’une minute et demi. Idem pour les grimpeurs (escalade, NDLR) car ils peuvent s’accorder des pauses ou inversent leurs prises. Ou pour les véliplanchistes et kitesurfers qui disposent de harnais pour s’accrocher. Mais sur une moto à 300 km/h, il n’y a quasiment aucun répit.

 Interview Dr Dufour : a priori pour Fabio Quartararo, c’est tout bon !

MNC : C’est un mal bien connu des pilotes de moto...
Dr D. :
J’ai décrit ce syndrome de loge lorsque j’étais à Paris, il y a trente ans. Je faisais de la moto et je voyais bien ce qui gênait les pilotes... Vous êtes jeunes (effectivement, MNC a le même âge que Fabio, NDLR!), mais c’était du temps de Frédéric Bolley, pilote de motocross qui terminait souvent dans les cinq mais peinait à finir ses courses. Je l’ai opéré et il est devenu deux fois champion du monde. C’était le point de départ.

MNC : Trente ans plus tard, des pilotes souffrent toujours. Qu’est ce qui a changé de votre côté ?
Dr D. :
À l’époque, je faisais des prises de pression. Aujourd’hui, on fait passer des échos Doppler dynamique pour cibler précisément le problème.

Un tas de facteurs entrent en ligne de compte

MNC : Vous voyez beaucoup de pilotes défiler dans votre service ?
Dr D. :
Toute l’année. La semaine dernière j’ai opéré Lucas Mahias. Je vois beaucoup de champions de vitesse, motocross, supercross, rallye raid, etc.

MNC : Vous allez nous dire qu’il existe autant de syndromes de loge - et de pièges de l’artère cubitale, donc - que de patients, mais existe-t-il différents stades ou degrés de gravité ? Où se situerait Fabio ?
Dr D. :
Il m’est difficile de répondre à cette question, au-delà même du secret médical, car un tas de facteurs entrent en ligne de compte... Prenez par exemple un pilote de SX qui roule devant 60 000 spectateurs. Il peut se crisper et augmenter les risques de syndrome de loge, alors qu’il ne se passera rien dans un environnement plus calme.

 Interview Dr Dufour : a priori pour Fabio Quartararo, c’est tout bon !

MNC : Il y a un facteur stress ?
Dr D. :
Assurément. Le pilote doit être fluide et mobile sur la machine, bien tenir sa machine entre les cuisses. Mais bon, les pilotes professionnels ont la technique requise. Je me méfie aussi des effets de mode : je ne voudrais pas me mettre à opérer tout le monde.

MNC : Fabio est justement une "fashion victim"... mais sur le plan vestimentaire surtout !
Dr D. :
Dans le cas de Fabio, l’opération est totalement justifiée. Dimanche dernier à Jerez, il avait course gagnée sur un circuit qu’il maîtrise totalement (4 poles MotoGP en 4 participations, NDLR !) et sur lequel il avait déjà gagné l’an dernier (GP d’Espagne et d’Andalousie à une semaine d’intervalle, NDLR...). Il m’a assuré qu’il roulait tout détendu. Donc il fallait faire quelque chose. L’écho l’a confirmé.

Il m’a assuré qu’il roulait tout détendu à Jerez

MNC : Comme Jules Cluzel que nous avons croisé au lendemain du GP, Moto-Net.Com est surpris que Fabio ait remporté en patron le GP du Portugal sur la piste extrêmement exigeante de Portimao... Comment l’expliquez-vous ?
Dr D. :
C’est une bonne question (merci Julo, NDLR !), que je me suis aussi posée. J’ai d’ailleurs insisté auprès de Fabio pour savoir s’il n’était pas stressé, s’il ne s’était pas engueulé avec sa copine juste avant... Parce que vous avez parfaitement raison, c’est un syndrome chronique qui n’apparaît pas subitement, un jour comme ça.

MNC : Le tracé a pu jouer ?
Dr D. :
Oui car dernièrement, il était surtout gêné dans les virages à droite, en hyper flexion. Or Jerez compte beaucoup de droits serrés, ce qui lui faisait ultra mal. Je me doute que dans cette position, l’artère se bouchait complètement.

 Interview Dr Dufour : a priori pour Fabio Quartararo, c’est tout bon !

MNC : Il avait été opéré en 2019, avec succès a priori.
Dr D. :
Oui, mais il m’a confié que cela faisait quelques semaines qu’il était gêné. Son manager Eric Mahé voulait me voir depuis un petit moment, mais il repoussait...

MNC : Jules Cluzel nous rappelait qu’il s’est fait opéré l’hiver précédent son arrivée en Superbike. Il avait du mal à finir certaines courses de Supersport et redoutait qu’en Superbike, sur une moto plus performante et à raison de deux courses par week-end, il ne soit encore plus handicapé... Mieux vaut prévenir que guérir ?
Dr D. :
Non, on ne peut pas opérer en prévention. Cela reste une opération, ce qui comporte des risques. Et certains pilotes ne sont aucunement gênés. Ce que je déconseille aussi, c’est faire de la musculation d’avant-bras.

40 minutes en contraction : l’être humain n’est pas fait pour ça

MNC : Ce serait contre-productif. Cela aggraverait les problèmes de gonflement ?
Dr D. :
Il vaut mieux consolider les épaules, le buste, le reste du corps. Mais pas les avant-bras, car les pilotes sont tenus de rester 40 minutes en contraction. Or l’être humain n’est pas fait pour ça (sourire), tout simplement. Essayez de rester suspendu 40 minutes à une barre fixe...

MNC : On peut éventuellement jouer sur la position du guidon ?
Dr D. :
Oui sauf qu’à ce niveau là, tout est déjà millimétré. Les pilotes prennent des habitudes de fou... Pour Fabio, il fallait intervenir : les aponévroses (tissus fibreux qui enveloppe le muscle, NDLR) étaient terriblement épaissies. Durant l’opération, alors que Fabio était endormi, certains muscles comme le cubital antérieur, ont fait une hernie ! Le muscle ne demandait qu’à sortir, par la moindre incision. J’ai bien vu en salle opératoire que le problème n’était clairement pas psychologique. L’écho avait aussi révélé l’arrêt complet du flux dans l’artère cubitale, ce qui n’est pas normal.

 Interview Dr Dufour : a priori pour Fabio Quartararo, c’est tout bon !

MNC : Chez certains de vos patients, l’opération solutionne immédiatement et définitivement le problème ? D’autres ne sont soulagés que partiellement et temporairement ?
Dr D. :
Je pratique cette intervention toutes les semaines et je ne reprends qu’un ou deux patients par an, sans savoir pourquoi. Vraisemblablement parce que les aponévroses, qui de toute façon vont se refermer, se cicatrisent trop vite. Voyez Pedrosa qui s’est fait opérer trois fois de suite : à mon avis, c’est parce qu’on lui disait de rester tranquille pendant tout un mois. Les aponévroses se refermaient au même endroit et l’opération ne servait à rien. Il faut que l’aponévrose se refasse au dessus des hernies musculaires. Il est donc impératif de reprendre ses activités au bout d’une semaine. Rester deux ou trois jours cool pour que ça ne saigne pas bien sûr, mais reprendre ensuite, avec les points cutanés.

Impératif de reprendre ses activité au bout d’une semaine

MNC : On aborde ici un autre souci, esthétique.. Vous avez pris soin des tatouages de Fabio au moins ? (rire)
Dr D. :
Effectivement, j’ai repris la cicatrice de 2019 et j’ai fait un surjet intradermique (autre intérêt au passage : inutile de retirer la suture cutanée une quinzaine de jours plus tard, le filament est résorbable, NDLR). Et de l’autre côté, où j’ai pratiqué une petit incision, je me suis efforcé de ne pas la faire en travers du tatouage.

MNC : Les fans sont rassurés, ouf !
Dr D. :
J’ai l’habitude, tous ou presque sont tatoués (rire) !

MNC : Sur le plan physique donc, tout va bien ! Et mentalement, comment va-t-il ?
Dr D. :
Je l’ai trouvé bien. Il a été super agréable.

 Interview Dr Dufour : a priori pour Fabio Quartararo, c’est tout bon !

MNC : Bien dans ses baskets ?
Dr D. :
Oui, complètement. Il était posé, calme. Sa décision de se faire opérer était ferme. Certains hésitent jusqu’au dernier moment, ne savent pas trop. Là nous avons calculé le rapport bénéfices/risques - comme pour la vaccination (rires) - et il s’est lancé. Il était avec son copain Thomas (son indéfectible "bras droit", NDLR!) et ça s’est super bien passé.

MNC : Il est donc paré pour "notre" Grand Prix de France au Mans, les 14-15-16 mai prochains !
Dr D. :
Oui ! L’intervention s’est déroulée en ambulatoire : il est rentré le matin, sorti le soir. Ce n’est donc pas trop invasif ni traumatisant, ce n’est pas trop douloureux non plus. Il a bien fait de le faire. J’ai vu qu’il avait mis deux-trois photos sur les réseaux sociaux.

L’opération a bien marché

MNC : Notamment une photo où il fait mine de remonter sur le ring. Il est prêt à renfiler les gants, le casque et le cuir ! Ses adversaires sont prévenus. L’intox fait aussi partie du sport !
Dr D. :
Certes, mais l’opération a bien marché. Il existe toujours des exceptions, et l’être humain est tellement complexe... Mais a priori pour Fabio, c’est tout bon !

MNC : On est ravi de vous l’entendre dire ! Merci de nous avoir accordé votre précieux temps.
Dr D. :
Avec plaisir, j’adore parler moto entre deux interventions. À bientôt !

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