La Commission européenne rend obligatoire les systèmes d'adaptation intelligente à la vitesse (ISA) dans les nouvelles voitures à partir de l'été 2022 et prône l'abandon de toutes motorisations thermiques - y compris hybrides - dès 2035. Deux décisions qui s'appliqueront tôt ou tard à la moto...
Alors que les constructeurs de moto commencent à introduire des systèmes capables de réduire automatiquement la vitesse en cas de ralentissement en amont grâce à des radars de distance - BMW, Ducati, KTM et, depuis peu, Kawasaki sur sa H2 SX -, l'Europe applique un gros tour de vis supplémentaire avec la mise en place obligatoire de limiteurs dits "intelligents" dans les voitures, poids-lourds et camionnettes l'été prochain...
Ces dispositifs d'adaptation intelligente à la vitesse - qui prennent l'acronyme ISA pour "Intelligent Speed Adaptation" - sont en réalité déjà implantés dans certaines automobiles haut de gamme : leur fonctionnement repose sur la localisation GPS du véhicule, couplée à la lecture des panneaux de signalisation via des caméras, pour connaître en temps réel la vitesse maximale autorisée sur l'itinéraire.
En cas de dépassement, l'ISA envoie un signal lumineux, sonore ou vibratoire - volant ou pédale - pour inciter à lever le pied, puis réduit la puissance disponible du moteur le cas échéant. Autrement dit : ni plus ni moins que la version modernisée du "Limiteur s’Adaptant à la VItesse Autorisée (LAVIA)" exigé depuis 2006 par la présidente de la Ligue contre la violence routière...
Seule différence - de taille - par rapport au projet soutenu par Chantal Périchon : ces adaptateurs intelligents à la vitesse seront désactivables et le conducteur gardera le dessus sur leur action. Exemple : si le système bride l'accélération pour respecter la vitesse légale, une pression soutenue sur l'accélérateur permet de passer outre. Une "liberté" bienvenue pour doubler, par exemple !
La Commission européenne avait dans un premier temps envisagé d'imposer des dispositifs ni débrayables, ni contournables : l'ISA se calerait automatiquement et systématiquement à l'allure désirée, quitte à activer le freinage en cas de dépassement flagrant. Un premier pas vers la conduite autonome, en somme…
Fort heureusement, cette piste a pour l'instant été écartée en raison des limites technologiques de ces limiteurs "intelligents" : leur logiciel de lecture des panneaux - via des caméras - peut être mis en difficulté dans des conditions de visibilité délicates ou des situations complexes, notamment quand plusieurs panneaux se succèdent ou sont placés côte à côte (bretelle d'autoroute ou carrefours, par exemple).
"Dans certains cas, les intersections et les croisements de rues ou de routes ne sont pas clairement reconnaissables par les conducteurs et sont donc difficiles à interpréter pour les technologies ISA", reconnaît le règlement européen 2021/1958 publié le 17 novembre au Journal officiel de l'Union européenne.
Raison pour laquelle cette technologie se cantonne pour l'instant à des alertes et dont il sera possible de débloquer la réduction de puissance. Mais pour combien de temps encore, alors que certains spécialistes estiment qu'une régulation totale et systématique de la vitesse pourrait réduire les accidents mortels de "46%" et les accidents avec blessés graves de "34%" ?
Autre question sans réponse : qu'en est-il pour la moto ? A ce jour, les deux et trois-roues motorisés ne sont pas concernées par ce règlement européen 2021/1958 : le texte officiel prévoit une application sur les voitures, bus, camions et utilitaires homologués à partir du 6 juillet 2022, puis sur tous ces types de véhicules neufs produits à partir de 2024.
Que restera-t-il alors du plaisir de piloter une moto, si un "cerveau électronique" décide de son propre chef d'interrompre la poussée rugueuse d'un twin ou l'envolée explosive d'un 4-pattes pour respecter la limitation de vitesse ? Où sera l'émotion quand les étriers radiaux monoblocs s'activeront automatiquement aux abords d'une épingle limitée à 20 km/h ?
Mieux former tous les conducteurs et améliorer la qualité des infrastructures paraît pourtant plus constructif que les infantiliser à outrance par le biais de garde-fous électroniques ! Car inutile de rêver : le retour en arrière sera impossible. L'homme deviendra, ironiquement, un "semi-conducteur" !
Autre annonce lourde de conséquences venue de Bruxelles : la Commission européenne préconise dans son "Pacte vert" d'interdire la vente des véhicules neufs à moteur thermique à partir de 2035. Précision d'importance : cette mesure n'est qu'à l'état de proposition, contrairement aux régulateurs ci-dessus. Elle doit encore être discutée et votée avec tous les membres de l'Union.
Mais son existence a mis le feu aux poudres chez les constructeurs, qui n'envisageaient certainement pas la fin des blocs thermiques à si courte échéance : moins de 15 ans, c'est après-demain dans un process industriel ! Dans ces conditions, à quoi bon continuer à développer de nouveaux moteurs à essence si leur espérance de vie est tellement limitée ?
Autre motif de mécontentement : la proposition de l'UE exclut toutes formes de thermiques au profit de l'électrique et l'hydrogène, y compris les moteurs hybrides (essence-électrique). Sauf que la plupart des constructeurs se tournent justement vers ces motorisations mixtes pour préparer l'avenir, en parallèle du développement de leurs gammes de voitures entièrement électriques !
Le projet sonnerait également le glas des espoirs placés sur les carburants de synthèse, cette essence fabriquée chimiquement sur laquelle lorgnent des marques sportives comme Porsche et Ducati ! Idem pour les bio-carburants, notamment le bioétanol obtenu à partir du sucre contenu dans le blé, le maïs ou la betterave…
L'association des constructeurs automobiles européens s'en est aussitôt insurgée : "dans le contexte des restrictions technologiques proposées à partir de 2035, nous exhortons toutes les institutions de l’UE à se concentrer sur l’innovation plutôt que d’imposer une technologie, ou d’en interdire une autre comme les moteurs thermiques", réagi l'ACEA.
"Pour réduire l'empreinte carbone de tous les véhicules en circulation - pas que celle des modèles neufs - nous avons surtout besoin d'innovation et de la disponibilité de carburants renouvelable", estime son président Oliver Zipse, par ailleurs le PDG de BMW.
Sans parler du fait que les voitures électriques ne sont pas encore à maturité : l'autonomie et le temps de recharge continuent à limiter leurs déplacements, leurs prix est prohibitif, tandis que personne n'a résolu le "petit" problème de la production et du stockage de toute l'électricité nécessaire au parc automobile…
Rouler dans une voiture "à piles" est peut-être peu polluant mais la recharger est une toute autre histoire : environ 70% de l'électricité dans le monde est actuellement produite à partir d'énergies fossiles ! Exemple en Allemagne, qui fait tourner des usines à charbon pour s'éclairer et se chauffer : cela a-t-il du sens d'utiliser la plus polluante des énergies fossiles pour recharger les batteries de ses BMW et Mercedes électriques ?!
La France avance de son côté l'argument de son indépendance énergétique grâce au nucléaire… mais reste muette, étrangement, sur la gestion des déchets radioactifs. On les enterre, et on verra dans mille ans ? Allez par ailleurs évoquer les vertus de l'énergie atomique aux habitants de Tchernobyl (Ukraine) ou Fukushima (Japon).
Autre silence assourdissant : celui des constructeurs moto, qui n'évoquent pas cette fin possible du moteur thermique qui propulsent pourtant 99,99% de leur gamme ! Et pourtant, là encore, cette "mise à mort" du moteur essence ne peut que s'appliquer tôt ou tard aux motos et aux scooters. Penser l'inverse est un non-sens !
A ce titre, ce n'est sans doute pas un hasard si Kawasaki amorce sa révolution "Verte" en faveur de la production de motos électriques : la marque d'Akashi prévoit de présenter "un minimum de trois véhicules électriques" d'ici 2022, et a par ailleurs entamé une collaboration avec Yamaha pour un moteur à hydrogène…
Reste à savoir quelle sera la position des autres constructeurs de moto alors que deux étapes cruciales pourraient être franchies dès demain : l'automatisation de tout ou - grande - partie la conduite d'une part, et de l'autre la suppression des moteurs thermiques. Et dire qu'hier encore, le monde motard râlait contre la disparition du deux-temps !
Triste époque que celle où le plus grand plaisir procuré par son moyen de locomotion proviendra peut-être de sa capacité à se faire… oublier. Au nom de la sécurité routière, les motos pourraient devenir ultra-assistées, silencieuses et sans doute auto-stables (BMW, Honda et Yamaha y travaillent déjà !). Et ce, dans un futur très proche… trop proche du goût de MNC.
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