Certains motards sont complexés… et rassurés de savoir qu'ils ont la plus grosse, la plus démesurée, la plus imposante des motos : la Rocket 3 ! Or Triumph ajoute quelques chevaux au plus énorme moulin de la production, qui n’était pourtant déjà pas timide ! Âmes sensibles et constitutions fragiles s’abstenir : voici l'essai MNC… par Stéphane Lacaze !
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Lancée en 2004, la Rocket 3 première du nom était un tank. L’équivalent sur deux-roues d’un Panzer Tigre : plus gros, plus imposant, plus intimidant que ses adversaires. Il faut dire qu’avec ses 357 kg (!) sur la balance, l'engin ne pouvait être relevé de sa béquille sans un minimum de poigne. Et puis, il y a vingt ans, un 3-cylindres en ligne de 2 294 cc développant 142 ch et surtout 200 Nm de couple n’avait guère de concurrence.
Entièrement revue en 2020 par la firme d’Hinckley, la Rocket passait à 2 458 cc, maigrissait de 40 kg et voyait sa puissance de frappe gonfler à 167 ch et 220 Nm. En fait, cette bécane c’est Tyson Fury avec un moteur ! Mais si, Tyson Fury, le gitan champion du monde boxe : 2m06 sous la toise, une allonge démentielle et un poids oscillant entre 110 et 180 kg selon l’humeur. Un colosse avec du gras autour de la ceinture, quoi, soit l’exacte définition de la Rocket 3 !
Quatre ans plus tard, la nouvelle Rocket conserve largement les spécificités de la précédente version : le design change peu, elle est toujours disponible en version R (typée roadster) ou GT (pour sa position de conduite plus relax) et son prix dépasse désormais les 26 000 euros. Déraisonnable ? Oui. Et elle assume !
Posée sur le trottoir du Canopy by Hilton, à Cannes (oui, MNC ne s’est rien refusé sur ce coup-là !), la Rocket 3 ressemble à un énorme félin assoupi. Longue, basse, musclée, même à l’arrêt la Triumph respire la performance et la démesure. Fidèle aux habitudes du constructeur britannique, elle se signale par une finition hors du commun...
Le 3-cylindres, malgré sa cylindrée unitaire colossale, est remarquable de compacité, mais, surtout, rien ne dépasse. Aucune durite disgracieuse à l’horizon, pas un fil qui traîne ou un câble mal placé… Le regard ne cesse de se poser sur des pièces joliment tournées, des matériaux nobles ou des solutions techniques aussi esthétiques que fûtées. À l’image des repose-pieds passager parfaitement intégrés dans la coque arrière, laissant penser que la Rocket est monoplace jusqu’à ce qu’on les déplie. Un détail, certes, mais qui témoigne du soin apporté au porte-étendard de la marque d’Hinckley.
Pour le reste, il faut avouer que ceux qui connaissaient la version apparue en 2020 ne seront pas dépaysés. Et pour cause : hormis les nouveaux coloris bi-tons du réservoir et le noir mat de la ligne d’échappement, qui remplace l’aspect chromé, rien ne change. On conserve donc la double optique ronde si emblématique, la selle basse, la ligne étirée et le large réservoir, le tout posé sur d’énormes gommards qui laissent craindre le pire à l’usage... On y reviendra plus tard. Et puis, la transmission par cardan, qui dégage parfaitement la jante arrière, tout comme l’échappement court, contribue à cette ligne superbe.
Côté équipement, là encore rien n’a bougé… mais ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle ! En effet, la grosse Triumph avait dès le début fait le choix de la qualité : grosse fourche inversée de 47 mm de diamètre, suspensions Showa réglables dans tous les sens, étriers de frein Brembo Stylema comme sur les meilleures sportives… La Rocket 3 ne se refuse rien.
En s’approchant, la Rocket "Storm" de son nouveau petit nom, continue à épater. Choix des matériaux, qualité d’assemblage et de la peinture, on a beau chercher la petite bête, il n’y a que des compliments à faire.
C’est ce qui démarque le plus clairement les versions R et GT. La première, typée roadster, propose un guidon plus droit et des repose-pieds à la verticale du bassin. Il en résulte une position plus agressive, qui nécessite pourtant un certain gabarit, ou au moins des bras assez longs pour aller chercher les commandes sans s’étirer trop les lombaires. On est assis très bas, ce qui permet à tous les formats de bien ancrer ses pieds dans le sol, toujours rassurant au moment de manœuvrer un bestiau dépassant les 300 kg.
La GT s’adresse aux habitués des customs, avec les pieds en avant et un guidon revenant plus loin vers l’arrière. Elle dispose aussi d’un (petit) saute-vent ainsi que d’un sissy-bar afin de ne pas perdre son passager à la première accélération.
La Storm GT est la plus cohérente et la moins contraignante pour le type d’usage auquel se destine ce genre d’engin, qui demeure avant tout un cruiser. Le bassin vient naturellement se caler contre le bourrelet de la selle (ou l’attendent quelques vibrations vers 4 500 tr/min), le bras de levier supplémentaire offert par le guidon plus large apporte davantage de facilité lors des manœuvres, bref, on est à l’aise, avec un réel confort.
La R est un peu plus contraignante, il faut aller chercher les commandes plus loin vers l’avant, mais on s’y fait malgré tout facilement. C’est aussi celle qui offre la meilleure garde au sol. Et puis, c’est surtout la plus agressive et c’est visiblement ce que cherchent les clients, puisque qu’elle représente 70% des ventes !
On arrive à la pièce maîtresse de la "Fusée tempétueuse". Et pour cause, cette mécanique n’est rien moins que le plus énorme moteur de la production motocycliste mondiale, avec des pistons rivalisant en diamètre avec ceux du V10 de 8,3l de la mythique Dodge Viper ! Un monstre dont les mensurations ont de quoi effrayer.
Ce n’est pas la nouvelle puissance annoncée, en hausse de 15 ch par rapport précédent modèle, soit une écurie de 182 purs sangs désormais, qui va rassurer au moment de démarrer l’engin. Pourtant, un fois le gros bloc réveillé, MNC est un peu déçu par la sonorité. Certes, on sent bien que l’on chevauche quelque chose d’exceptionnel : ça râle, ça respire, le couple de renversement fait même légèrement osciller l’équipage, mais les normes "anti-tout" sont passées par là et ont quelque peu muselées le félin.
Très vite heureusement, les bonnes surprises s’enchaînent. D’abord, l’embrayage est très souple. On pouvait craindre, vu le couple colossal qui transite via ce dernier, que la commande soit digne d’un appareil de musculation : il n’en est rien. Ensuite, le gros matou se révèle bienveillant lors des évolutions à basse vitesses.
Il accepte de circuler sans à-coup et sans menacer de caler à bas-régime ce qui, au vu de la cylindrée unitaire, n’était pas gagné. On peut d'ailleurs pousser le vice jusqu’à rouler à moins de 1000 tr/min en sixième, aux alentours de 40 km/h ! OK, le gros bloc signale par quelques vibrations que ça l’agace et que ce n’est pas sa zone de confort, mais il se plie malgré tout à l’exercice.
C’est bien quand on ouvre franchement la poignée de gaz, et ce dès 2 000 tr/min, que le spectacle commence. La poussée est énorme, monstrueuse, comme si l’élastique d’une fronde était relâché… et que vous en étiez le projectile ! Le plus étonnant demeure l’absence d’inertie du bloc et la vitesse à laquelle le paysage se met à défiler. Avec une accélération qui ne faiblit jamais et une zone rouge débutant à 6 500 tr/min, on obtient une plage d’utilisation remarquable, d’autant que la boîte de vitesse est précise et correctement étagée.
Paradoxalement, l’élément central de la Rocket Storm constitue également son talon d’Achille. Pas en ce qui concerne ses performances pures, on l’a vu. L’évolution de puissance est anecdotique, le gain de 15 ch à 7 000 tr/min – pas vraiment les régimes usuels - n’étant pas déterminant et le couple, avec ses 4 Nm supplémentaires, ne change guère. En clair, c’était démentiel avant et c’est toujours le cas.
Hélas, sa facilité d’exploitation va de pair avec une certaine linéarité. Comprenez-nous bien : une Rocket, ça pousse toujours fort, tout le temps, sur n’importe quel régime et n’importe quel rapport. Mais cette efficacité se paie par un certain manque d’émotion. Et c’est quand même dommage sur un engin dont la vocation première est avant tout de distiller des sensations, non ?
Si elle n’a pas changé d’un iota par rapport au modèle précédent, la partie-cycle demeure la plus grande surprise de la Rocket 3 pour qui la découvre. Les Anglais sont parvenus à rendre naturelle à piloter une machine hors-normes à tous points de vue !
Bien sûr ses dimensions réclameront toujours un minimum d’attention, mais l’équilibre dont elle fait preuve à basse vitesse, son centre de gravité placé très bas et la souplesse de sa mécanique permettent de guider ce mastodonte à n’importe quelle allure avec une facilité désarmante.
Impossible de deviner une fois au guidon que l’on se trouve aux commandes d’un engin dépassant les 300 kg et monté sur des gommes de 240 mm de large à l’arrière et 150 à l’avant ! Résultat, en ville on commande la Storm du bout des gants, que ce soit la R ou la GT, et quand le rythme s’accélère, elle suit le tempo.
Aux allures légales, la "Fusée III" ne prête guère le flanc à la critique, il faut la bousculer ou arriver sur des revêtements défoncés pour voir ses limites. En toute logique c’est l’amortisseur, avec ses 107,5 mm de débattement, qui abdique en premier. On parvient à le faire talonner et ce sont alors vos vertèbres qui prennent le relais. Pour ce type d’engin la garde au sol est tout à fait respectable, avec un léger avantage à la R, mais elle réclame malgré tout de l’attention si l’on s’énerve, surtout en cas de compression sur l’angle.
Compte-tenu toujours de ses mensurations hors normes, l’efficacité et le compromis confort/rigueur offert par les suspensions est tout à fait remarquable. L’énorme anglaise filtre très bien les petits chocs et amortit les plus gros sans faiblir, permettant de conserver un rythme assez élevé sans trop la ménager. Ce qui n’est pas un mince exploit, foi de Moto-Net.Com !
Passé une certaine vitesse (80… miles per hour sur petites routes, mettons), on est inévitablement rattrapé par les lois de la physique. La fourche plonge trop vite, l’inertie vous embarque vers l’extérieur, la Rocket vient s’échouer sur ses repose-pieds avec le bruit délicat d’un navire s’éventrant sur des rochers, les suspensions se mettent à pomper et le pilote transpire à grosses gouttes.
Bref, même si le comportement de la Rocket est bluffant, il convient de respecter le bête. Heureusement, Triumph l’a chaussée d’excellentes gommes, qui privilégient le grip à la longévité, mais qui offrent une adhérence rassurante.
On pourrait croire qu’avec ses éléments en provenance directe des meilleures sportives, Triumph se soit emballé pour équiper une machine ayant pour essentielle vocation, la balade. Pourtant, la qualité des pièces choisies et l’excellent maître-cylindre ne procurent pas seulement de la puissance, mais aussi du feeling et ce, quel que soit le rythme adopté.
Le frein avant permet de ralentir efficacement l’équipage et, en mode attaque, on se dit qu’il n’y a rien de trop ! L’arrière est précis, on l’utilise volontiers pour resserrer une trajectoire ou stabiliser la Rocket. Bref, c’est du tout bon.
Courbes de puissance, contrôle de traction, ABS performant, cruise-control… Il ne manque pas grand-chose à la panoplie de la Storm, même si la marque aurait pu profiter de ce léger lifting pour lui offrir un tableau de bord différent. Ce dernier propose le choix entre plusieurs fonds et la possibilité d’ordonner les informations selon ses préférences. Pas grand-chose à lui reprocher objectivement donc, mais vu le tarif de l’engin, un petit coup de jeune aurait été le bienvenu pour distinguer cette nouvelle génération de l'ancienne.
Du côté des aides à la conduite, la "Fusée" propose trois courbes de puissances. MNC a délibérément fait l'impasse sur celle réservée aux conditions humides : il faisait grand beau à Cannes ! Pas d’énorme différence entre Road et Sport : cette dernière n’étant pas brutale mais offrant juste un peu plus de coffre, c’est celle que le Journal moto du Net a conservé la majorité du temps. Y compris pour les évolutions urbaines.
On regrette toujours en 2024 l'absence de quickshifter sur la Rocket 3 mais, qui sait, cela améliore peut-être la durée de vie de la boîte de vitesses. D’ailleurs, vu l’étagement de cette dernière et la plage d’utilisation de la mécanique, on n’en sent finalement pas vraiment le besoin.
Couper le contrôle de traction permet de valider la motricité de la Rocket et, au moins sur le sec, il n'y a jamais eu de mauvaise surprise. Il faut vraiment en faire des tonnes pour sentir le train arrière décrocher sur l’angle. Pneus froids, en ligne droite, ce n’est pas la même histoire et l’on peut signer ses départs d’une longue marque noire. À noter que l’on sent le cardan relever l’arrière de la moto à l’accélération. Ce n’est pas gênant à l’usage, ça profite même plutôt à la motricité et ça contribue à garder la roue avant collée au sol.
Un nouveau nom, une finition différente et quelques chevaux en plus… Les propriétaires de la précédente version peuvent se rassurer : la nouvelle Rocket III change très peu. Pour ceux qui ne la connaissait pas, ils découvriront une machine hors du commun, proposant des sensations assez démentielles, mais dont la réussite majeure est d’avoir mis ses dimensions monstrueuses et sa puissance tellurique à la portée du plus grand nombre.
La Rocket 3 Storm bénéficie d’une finition remarquable, probablement l’une des meilleure de la production. Elle possède une présence presque magnétique, même à l’arrêt, qu’elle doit tout autant à ses lignes et ses dimensions qu’à sa qualité de fabrication.
Naturellement, le tarif est à l'échelle de la moto et, en quatre ans, le ticket d’accès a augmenté de 4000 euros (1200 euros par rapport au modèle 2023)… Oui, cela commence à piquer. Comptez 26 395 euros pour la version R et 27 195 euros pour la GT. Le prix à payer pour un engin définitivement hors normes.
POINTS FORTS |
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POINTS FAIBLES |
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