Les motardes russes se moquent du féminisme

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La présidente du premier club russe de motardes travaille dans un atelier d'Harley Davidson et roule en Fat Boy – la moto conduite par Arnold Schwarzenegger dans Terminator 2.

La présidente du premier club russe de motardes travaille dans un atelier d'Harley Davidson et roule en Fat Boy – la moto conduite par Arnold Schwarzenegger dans Terminator 2.

Pour autant, Maria Moukhina ne ressemble ni à une motarde invétérée ni à une féministe convaincue et ne considère certainement pas son mode de vie comme une croisade contre le patriarcat.

"Je pense que nous sommes au premier plan du féminisme sans jamais l'avoir remarqué, sans y avoir fait attention", sourit Maria Moukhina, la trentaine passée, accordant une interview dans un café de Moscou. Pour l’occasion, elle a même troqué sa veste du club contre un pull violet.

Il existe aujourd’hui près de 350 clubs et associations de bikers à travers la Russie et leur nombre ne cesse d’augmenter, selon le site Moto.ru. La majorité d’entre eux sont réservés aux hommes.

Mais depuis plus de dix ans, le Krylia FMCC (Wings Femali MotorCycle Club) accepte dans ses rangs des Moscovites amatrices de moto – suffisamment amatrices pour trouver d’autres femmes qui partagent cette passion.

Les membres du Wings ne se prennent pas pour des militantes du droit des femmes. Pourtant,  leur volonté sans faille de participer à un mouvement considéré par la majorité de la population comme une affaire d'hommes contribue, dans une certaine mesure, à la promotion de l'égalité hommes-femmes - dans un pays qui a traditionnellement connu des problèmes à ce sujet.

"Comme d'autres femmes, on fait à manger, le ménage, la lessive", déclare Elena "Maggies" Tcherkachina, membre du club. "Je viens ici simplement quand j'ai du temps libre, au lieu de prendre des cours de couture par exemple."

Elena a été élue "Reine de la saison moto" deux fois de suite, en 2011 et 2012. Elle roule en moto de sport et donne des cours de motocross aux membres potentiels du club, y compris en hiver lorsque la majorité des motards russes – quel que soit leur sexe – rentrent la bécane au garage pour passer la mauvaise saison à l'abri du froid, de la neige mouillée et des routes meurtrières recouvertes de glace.

Fais le toi-même

En 1999, lorsque le Wings a été fondé, très peu de clubs de moto existaient en Russie, tant féminins que masculins, se souvient Maria Moukhina.

A l'époque, les Night Wolves étaient de loin les plus populaires. Fondé en 1989, il a aujourd’hui ses entrées au Kremlin et peut se vanter de regrouper plus de 5 000 membres à travers la Russie et l'Europe de l'Est.

A cette époque, ni les Night Wolves ni d'autres clubs de moto n'acceptaient de femmes.
Ils suivaient le modèle américain des années 1960 selon lequel la majorité des groupes, selon la légende urbaine, refusait l'accès "aux noirs et aux femmes" - bien que cela ne concerne en réalité que la seconde catégorie.

"Aujourd'hui on a l'embarras du choix tandis qu'à l'époque, les femmes n'en avaient pas",
se souvient Maria, qui roule à moto depuis ses 17 ans.

"Pour cette raison, on a décidé de former notre propre club au lieu de nous lamenter à ce sujet", explique-t-elle. Et c'est ainsi que tout a commencé.

A tout point de vue, Wings est un club de moto classique : il rend visite à d'autres clubs et on lui rend visite à son tour. Wings organise des activités, se déplace dans Moscou en cortège et fait de la charité au profit des enfants - y compris les festivals de glaces. Le club visite également les orphelinats et participe à la recherche des personnes disparues – tout ce qu’il y a de plus normal pour la majorité des clubs de moto russes.

Le club accueille aujourd’hui 11 membres. Quatre autres sont des sympathisantes, c'est-à-dire des candidates à l’admission qui n'ont pas encore le droit de vote aux réunions. L'âge des membres varie entre vingt et un peu plus de quarante ans. Les femmes du club travaillent dans les domaines les plus divers, notamment l'enseignement, le secteur informatique, l'ingénierie et le design intérieur.

Elles n’ont jamais de problèmes avec des bikers ou des conducteurs automobiles sur la route, hormis des flirts de temps à autre, déclare Maria Moukhina.

Cependant, l'une des candidates à l’accession au club reconnaît que ses proches étaient au départ très inquiets – "comment une femme peut rouler à moto ?". Mais la décision finale revenait à son mari, qui lui-même en est passionné.

Maria Moukhina reconnaît qu'elle ne connaît aucun autre club de moto féminin en dehors de Moscou et de Saint-Pétersbourg, les deux villes russes concentrant la plus grande part des classes moyennes émancipées.

Le club reçoit régulièrement des demandes de femmes habitant en province, dit-elle. Sa propre fille de sept ans roule déjà en quad et s'est déjà assise sur la Harley Davidson – c'est le signe qu'une époque très intéressante attend le mouvement de motards.

Des gentlemen (pas très) parfaits

La Russie est aujourd’hui placée à la 59ème place sur 139 pays, dans le rapport mondial sur les inégalités hommes-femmes rédigé par le Forum économique mondial (FEM). Cela représente une perte de 16 places dans le classement par rapport à l'étude précédente.

Les femmes russes, qui représentent près de 54% de la population d'après le recensement de 2010, ne sont pas suffisamment impliquées dans l'activité économique et sont peu représentées dans la politique, font remarquer les experts.

En 2011, le salaire moyen en Russie était de l'ordre de 30 000 roubles (soit 750 euros) pour les hommes, et 19 600 (environ 490 euros) pour les femmes, selon l'agence de statistiques Rosstat. Sur les 29 membres du cabinet du président, il n’y a aujourd’hui que 2 femmes. A la Douma (chambre basse du parlement), seules 61 femmes siègent sur un total de 447 députés. Il faut reconnaître que l'une d'elles est également top-modèle pour Playboy.

Aucune discrimination n’était pourtant à constater à la soirée du Wings consacrée à la fermeture de la saison moto, organisée fin octobre dans le local du club Wolf Brothers MC, habituellement réservé aux hommes.

Les danseurs et les danseuses des deux sexes ont participé aux activités dans des salles séparées  et, à en juger par les cris venant de la salle des femmes et les images qu'on pouvait voir à travers la porte en verre mat, leur programme a provoqué bien plus d'excitation que le spectacle pour les hommes – des représentants de la classe moyenne, la quarantaine qui se tenaient près du mur sans participer à quoi que ce soit.

Il y avait une exception. "Nous avons actuellement une femme dans nos rangs mais on va s'en séparer", a reconnu le membre d'un club de moto provincial, qui a souhaité garder l'anonymat.

"Regardez, on est tous frères ici, et ce n'est pas correct quand quelqu'un met ton frère dans une situation inconfortable", dit-il après un bock de bière.

Les membres du Wings affirment que les motards hommes sont de vrais gentlemen.

"Lorsque les hommes forment une fraternité, ils acquièrent une sorte d'esprit chevaleresque qui les rend très polis et civilisés", dit Natalia, membre potentielle du club, qui travaille dans une société de conception.

"Je voudrais simplement avoir cette liberté", continue cette mère d’un fils de 18 ans, au sujet de sa volonté d’intégrer le groupe de motards.

"La moitié de ma vie, toute ma jeunesse ont été sacrifiées pour la maison et la famille.
Je voudrais que mon chemin se poursuive et ne s'arrête pas là", dit-elle, avant de finir sa boisson et rejoindre les autres membres du Wings dans la salle aux danseurs.

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