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Balkans, le 10 juin 2016

Sur la route des Balkans en Suzuki DL 650 V-Strom

Sur la route des Balkans en Suzuki DL 650 V-Strom

Après ses voyages au Maroc , au Pays-de-Galles et son Paris-Dunkerque vu de l'intérieur , notre "routard en chef" Marcos Poidebard a parcouru les routes des Balkans au guidon de sa fidèle Suzuki DL 650 V-Strom . Récit, rencontres, photos et vidéo.

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Après ses voyages au Maroc, au Pays-de-Galles et son Paris-Dunkerque vu de l'intérieur, notre "routard en chef" Marcos Poidebard a parcouru les routes des Balkans au guidon de sa fidèle Suzuki DL 650 V-Strom. Récit, rencontres, photos et vidéo.

J'avais envie d'un long voyage. Un voyage avec une partie planifiée et une autre laissée au hasard. Je voulais voir quelques classiques, comme les fameuses routes suisses et quelques cols de montages (Col de la Furka, San Bernardino) le Parc national des Dolomites et le col de Stelvio. Et ensuite, laisser mes envies guider la route. Equipé de ma tente de campagne et de mon appareil photo, je me suis lancé dans l'aventure.

Au fond de moi, même si je savais que j'allais rencontrer des gens, une légère inquiétude planait dans mon esprit...

- Serais-je capable de voyager seul pendant presque un mois ? Capable de gérer les problèmes mécaniques ou de sécurité ?

J'ai écarté ces pensées et démarré la moto, équipée de deux sacoches en toile (très remplies), un sac de voyage étanche et une sacoche de réservoir. Je voulais penser à tout, et même si dans mes lectures de grands voyageurs ils assurent qu'avec deux trois trucs c'est bon, je me suis quand même retrouvé avec :

  • 5 t-shirts
  • 2 pulls
  • 1 cape de pluie
  • 1 lampe frontale
  • 8 paires des chaussettes
  • 1 pantalon moto et un autre pour la ville
  • 2 paires de baskets (j'avais promis à ma mère que j'irais courir)
  • 2 serviettes et une trousse de toilette
  • 1 ordinateur
  • 1 appareil photo et une caméra GoPro
  • Une tente, un sac de couchage et un matelas gonflable
  • Une paire de bottes
  • Deux paires de gants
  • 1 kit crevaison
  • Un peu de nourriture et - je me demande toujours pourquoi ! - deux casseroles, deux réchauds, trois assiettes, trois verres et cinq couteaux...

Avec toutes ces affaires indispensables je suis parti vers les Vosges, exactement à Charmes, dans un charmant hôtel tenu par des amis. Après le petit déjeuner, je quitte Charmes pour la Suisse, sans oublier de passer par quelques cols vosgiens (le Col du Ballon d'Alsace, que j'aime tant.)

Ensuite l'Alsace, ses beaux paysages, son architecture et sa gastronomie, me dépaysent complètement. Toujours par des départementales ou des petits chemins, mon idée est de passer par le maximum de villages et de faire le plus de camping possible.

La route m'emmène vers des paysages où le vert devient plus intense et le cadre plus ordonné, je roule... et les premiers panneaux étranges apparaissent. Je comprends que je suis en Suisse.

Je n'ai jamais vu une frontière, ni pancartes souhaitant la bienvenue, ni contrôle de douane ou de police. Je m'étonne encore de la facilité avec laquelle on voyage en Europe.

Les routes sont presque parfaites, le goudron a l'air d'avoir été posé la veille. Le marquage au sol est impeccable, les virages sont sublimes. L'horizon m'offre des chaînes de montagnes avec différents tons de couleurs, le soleil chauffe et la lumière traverse les feuilles des arbres en dessinant des ombres sur la route. Au bord, des lignes de pins plantés avec une rigueur géométrique : ça y est, je suis plein dans une carte postale, c'est la Suisse.

Je m'arrête au pied d'un monticule de bois empilé d'une façon très ordonnée au prétexte de faire des photos. Mais en fait je voulais toucher les arbres, vérifier si cette nature était là pour de vrai... Donc je marche entre les arbres, je foule l'herbe avec mes bottes et je respire.

Comme un envahisseur

Je renonce à allumer une cigarette pour ne pas contaminer ce cadre idyllique. Je fais mes photos et j'ai encore cette étrange sensation : je me sens en trop, la moto dans mes images est en trop, tout est si parfait que je me sens comme un envahisseur.

Mais revenons à la réalité : il faut trouver un camping pour passer la nuit. Mes fesses demandent une pause (ça, c'est très réel !). Beaucoup de kilomètres et trop d'informations pour une seule journée. Je pointe dans le GPS "camping à proximité" et j'y vais.

J'installe la tente, le sac de couchage, je gonfle le matelas et je prépare mon survêtement qui sera mon pyjama. Je me demande si cela sera mon rituel quotidien pendant le mois qui vient, comme quand j'étais étudiant, chaque fois que je commençais un nouveau stage je me demandais la même chose :

- Combien de fois devrais-je prendre cet ascenseur ? Monter cet escalier ? Taper le code de la porte ?

Etrange association d'idées pour quelqu'un qui est en vacances... Je le voulais ce voyage, rien ni personne ne m'y a obligé, mais je me demande si la solitude ne commence pas déjà à me peser ? J'éloigne cette idée et je vais chercher une bière à boire.

La montagne qui surplombe le camping n'est pas très haute, mais c'est ma première nuit au pied d'une montagne suisse donc elle mérite tout le crédit que je puis lui donner : ce soir, elle sera la plus belle de toutes les montagnes !

Proche de moi stationnent deux ou trois camping-cars avec des retraités assis à leurs portes, les antennes paraboliques écrasent le toit de ces "modern-mobile-homes" bourrés d'accessoires hi-tech.

Naïf, je m'attendais peut-être à "Bonjour le motard ! Salut toi, tu viens prendre l'apéro ? Viens donc nous raconter ta journée !"

Solitude...

Mais non, rien, ces gens m'observent de loin sans grand intérêt. Je ne vois aucune expression sur leurs visages, seulement une légère inclinaison de tête (OK, on te voit, reste où tu es). L'envie de partager et d'échanger commence à me jouer des tours.

Oui, la solitude arrive déjà...

Le lendemain, je finis de traverser le pays de la fondue et comme tout le monde le dit et le redit, la Suisse est toujours immaculée, pas une ride, pas de poubelles en vue, pas de papiers au sol... même les vaches je les trouve propres !

Je m'arrête et je bois de l'eau de la rivière. Je me suis dit que dans ce cadre aseptisé, je ne risquais rien... Deux trois photos et je continue.

Au fur et à mesure que j'avance, je me rends compte que quelque chose me manque et je réalise que c'est l'imperfection que j'apprécie avant tout, le manque d'ordre dans les choses, les ornières et pourquoi pas quelques bosses pour me rappeler que je suis à moto. Je décide donc de filer vers le Parc national des Dolomites.

Excité par ce projet, j'ouvre les gaz. Avec les Metzeller Karoo III qui adhèrent parfaitement au goudron, les virages sont un régal, les Alpes sublimes, la V-Strom répond à toutes mes demandes, le vent qui rentre dans le casque diminue l'impression de forte chaleur.

Allez ma vieille, encore une autre virée ensemble. Et comme dit la chanson de Francis Cabrel :

On va viser l'éternité
On est tellement bien ici
On va tout faire comme si
On était partis pour rester

Evidemment, je n'étais pas le seul à avoir eu cette idée : j'ai dû partager la route avec des bandes de motards excités, des camping-cars de retraités, des vélos, des voitures remplies de familles, des cars de touristes japonais...  et je me redis :

- Dis donc, pas très original cet itinéraire...

Mais rien n'entache la beauté du paysage. Je confirme : le Parc national des Dolomites est magnifique, même avec toute cette circulation. Encore une fois, je roule dans une carte postale. Je fais des photos, encore et encore...

Mais quelque chose ne va pas. Quelque chose me manque. Encore une fois, je me dis que toute cette perfection à la fin devient ennuyeuse. Je pense à ces magiciens qui font des tours de passe-passe incroyables, mais à force ça ne nous surprend plus.

Donc je décide de filer vers le col du Stelvio, en Italie. Je vais vers quelque chose de plus spontané, j'ai envie de laisser le hasard diriger le voyage et provoquer d'éventuelles rencontres. Et j'ai envie d'une bonne pizza !

Accro au WiFi

Je traverse des villages italo-suisses, puis j'arrive dans un camping qu'une fois encore le GPS a choisi. Je me sens tout de suite très à l'aise. Je ne suis pas le seul motard, les gens s'intéressent au voyageur solitaire que je suis et pour améliorer le tout, ils ont une superbe connexion WiFi à laquelle je commence à devenir accro.

Je vais rester là deux jours : les prix sont abordables, je peux me faire à manger et le soir il y a la possibilité de faire des rencontres avec d'autres motards. Je suis encore excité, je me trouve au pied du Col de Stelvio, l'endroit où tout motard devrait aller au moins une fois.

Les virages s'enchaînent, je me sens bien, le paysage est de plus en plus beau, offrant au regard des cascades au bord de la route et des tunnels digne d'un film d'action. En arrivant au sommet, là c'est une autre histoire...

Ca ressemble à la tour de Babel : des motard, des cars, des vélos de toutes nationalités et pleins de magasins de souvenirs... Normal, je suis dans le Col de Stelvio ! J'ai une pensée pour mes amis vosgiens qui aiment tant les cols et les virages.

Après deux jours dans la région, je décide d'aller vers le sud-est de l'Europe. La deuxième partie du voyage commence : direction la Croatie pour descendre le plus possible dans le continent, et ensuite on verra...

Après un bon café au petit matin au camping de Trieste, je prends la route vers Split, Croatie. La ville est inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO, ça doit valoir la peine. Le trajet me prend deux jours de moto jusqu'à la vieille ville romaine, dans une chaleur accablante.

La sortie de Trieste n'est pas très confortable, la chaleur commence à être difficile à supporter et des mini bouchons se forment en ville. Je me retrouve sur des nationales et départementales, sans vraiment savoir où je suis exactement. Je me laisse guider par le GPS. Je me limite à apprécier le paysage et à survivre à la chaleur.

Un petit chemin sympathique bordé d'arbres me mène hors de la citadelle italienne, les paysages deviennent plus verts, plus agricoles, et là, sans m'y attendre, je tombe sur un panneau : Slovénie.

Camping naturiste

Mais que fait ce pays ici ?! Entre stupéfaction et rire, je n'y crois pas, j'avais oublié son existence ! Mais quel voyageur je suis ! Heureusement que je ne travaille pas dans le tourisme...

L'entrée en Croatie promet d'être longue et très peu amusante... La file de voitures pour passer la frontière fait des kilomètres et la chaleur est pesante. Je décide de suivre deux motards (eux en short et t-shirt, moi en équipement complet) jusqu'au poste de contrôle de la police. Les voitures nous laissent passer sans plus, bref, passeport, papiers de la moto et ça y est, c'est la Croatie !

Le changement n'est ni radical ni extraordinaire pour le moment, les paysages ne changent pas et les routes restent toujours impeccables.

Je décide donc de rouler avec le casque et le blouson ouverts, c'est la seule solution que je trouve pour combattre la chaleur... Mauvais choix : non seulement je ne suis pas bien protégé, mais la chaleur rentre partout, ça commence à devenir pénible.

Une bière à poil

Une visite à Split, deuxième ville plus grande de la Croatie, puis ferry pour échapper un peu au tourisme de masse jusqu'à l'île de Stari Grad. Mon fidèle ami GPS m'indique une liste de campings... et parmi eux se trouve un camping naturiste.

- Et pourquoi pas ?, me dis-je...

Je n'ai jamais expérimenté ça et avec cette chaleur, ça pourrait être amusant et pratique. Donc, trois heures plus tard, je me retrouve à siroter une bière avec un couple de retraités, tous les trois à poil. De là à m'imaginer dans les années 70 période hippie il n'y a pas loin...

Honnêtement, je me sentais bien... Bon, allez, au début j'étais un peu stressé, mais on est à l'aise très rapidement. Chacun fait sa vie et personne ne mate ou ne juge qui ou quoi que ce soit. Voilà l'ambiance : des familles, des couples, des retraités, des amies et... un motard franco-argentin !

Le lendemain, après une petite baignade en tenue d'Adam, j'enfourche la moto pour faire le tour de l'île. Puis je reviens sur le continent avec le coeur léger et la sensation d'avoir dépassé un tabou. Je décide de partir vers la Bosnie. Première étape : Mostar.

Quelle ville ! Et quelle région ! Il suffit de quitter les axes principaux et de s'égarer sur les petites routes et les chemins alentours. Des routes semi-abandonnées, des paysages à couper le souffle, des gens simples et sincères. Quel beau pays !

Après Mostar, cap sur Dubrovnik

Mostar est une ville touristique d'une grande beauté. Son vieux pont du XVIème siècle est tout simplement magnifique. On peut aussi découvrir la mosquée de style ottoman. La visite vaut la peine.

Maintenant cap sur Dubrovnik, une ville que l'on m'a conseillé de visiter plusieurs fois : je ne peux pas la rater. Donc retour en Croatie.

- Allez mon ami, trouve-moi un endroit pour faire dodo !

Après avoir essayé plusieurs campings archibondés, je décide de quitter la ville. Les prix et les conditions ne sont pas à mon goût (c'est-à-dire que 20 euros pour planter la tente entre 1000 autres, c'est un peu trop pour moi).

Je préfère continuer à rouler vers les extérieurs de Dubrovnik et j'aperçois un petit magasin de boissons. Je décide de prendre mon temps et je fais une pause avec une boisson fraîche en regardant la mer Adriatique. Cette diversité des paysages me remplit l'âme et je me sens en confiance, ma vieille V-Strom et moi on peut aller partout !

Je demande à la patronne de la buvette si elle connaît quelqu'un qui pourrait me louer une chambre, et là, les négociations commencent... pour enfin obtenir une chambre avec une terrasse géante pour 30 euros par jour.
C'est hors budget pour moi mais c'est pas grave, on improvisera ensuite.

En fait, je me rends compte que j'ai très mal calculé mon budget : je n'arrive pas à descendre en-dessous de 60 € par jour. Ce sera mon luxueux QG pour deux jours. J'en profiterai pour organiser la suite du voyage et visiter la ville, la plage et laver mes vêtements... Après une semaine je n'ai aucun t-shirt propre, mais en revanche j'ai toujours... deux casseroles, deux réchauds, trois assiettes, trois verres et cinq couteaux...

40°C et grosse baisse de moral...

Dubrovnik et ses alentours, ça vaut la peine. C'est une belle ville avec une forteresse impressionnante, mais cette fois le tourisme “classique” en solo ne me va pas. Je me rends compte que la compagnie me manque un peu et je réalise qu'il y a des moments que j'ai besoin de partager. Les fins de journées deviennent pesantes et si j'ajoute la chaleur, j'accuse une grosse baisse de moral...

Entre 14 et 18h ça devient très difficile de rester dans la rue, la chaleur est difficile à supporter, on approche les 40°C. Donc je me résigne à rejoindre une plage remplie de pierres et de touristes pour me baigner. Ensuite, je recherche les endroits avec l'air conditionné. Le "moche confortable" me change du "magnifique sauvage", mais il fait 40°C !

La Croatie est un beau pays, ordonné et développé. Pas du tout l'image que j'avais de l'Europe de l'Est. Cela me fait penser au pays des chants polyphoniques, mais avec beaucoup moins de virages. La route côtière est sublime, le goudron impeccable et l'Adriatique au bord de la route, on pourrait presque la toucher depuis la moto.

Des routes à couper le souffle au Monténégro

Sans savoir exactement à quoi m'attendre (et de moins en moins en fait, puisque mes préjugés tombent les uns après les autres), je décide de filer vers le Monténégro. Je me renseigne sur le web et fais une liste de villes à visiter : Perast, Kotor et Žabljak, en passant par le Parque National Durmitor. On verra bien...

Les routes sont à couper le souffle, les contrastes sont constants, les couleurs, les types de routes et même la température a changé ! Des routes entre les forêts “balkaniques” à des cols de montagnes, des routes presque désertiques dans une steppe sans fin, avec quelques maisons typiques.

Je suis obligé de m'arrêter pour apprécier le paysage, parfois au milieu d'une forêt, parfois dans un col ou au bord d'un ravin. Rouler dans ce pays... J'ai du mal à le décrire... C'est un paradis. Voilà ce que je voulais. Parfois, on comprend ce qu'on a cherché quand on l'a trouvé...

Etrange tunnel...

Je n'ai presque pas croisé de motards, le goudron est en bon état mais pas assez pour l'oublier. En arrivant à Žabljak, je rentre dans un tunnel.... qui n'en finit plus. Dans le mur, ils ont fait des trous pour que la lumière rentre et éclaire la route... mais il n'y en a pas assez et je suis obligé de rouler avec les pleins phares.

La température descend, je commence à avoir froid, pas de lumière et mon coeur s'accélère..  J'ai peur ?! Non, allons... C'est juste un tunnel. Mais un très étrange tunnel de... 20 km ?

La sortie approche, je suis content mais pas trop puisque "l'aventure" va se terminer... A la sortie, je me retrouve sous la pluie ! On dirait que j'ai changé de planète : le paysage est très vaste, plat et vert. Je pense aux images que j'ai vues de la Mongolie...

Je reste deux jours à Žabljak, où je rencontre des gens avec lesquels j'ai visité le lac noir et le lac Galbant, le canyon de la rivière Tara... Je viens d'avoir un coup de foudre pour le Monténégro !

Le voyage doit continuer... et je me dirige vers Shkodër, en Albanie. Paysages de rêve et routes comme je les aime : petits chemins goudronnés, de terre ou pierreux, quelques cols, le tout pas toujours en bon état... Et je traverse des forêts.

Un insecte préhistorique s'écrase sur ma joue

La chaleur est toujours présente. Depuis quelques jours, je roule avec la mentonnière levée mais l'air chaud devient dur à supporter... Et ce qui devait arriver est arrivé : une sorte d'insecte préhistorique s'écrase sur ma joue ! Merde ! Et ça fait mal. Mon premier insecte suicidaire depuis que je suis parti, et pas le moins méchant ! J'ai encore mal une heure plus tard et j'ai très chaud.

Donc je décide de m'arrêter dans une sorte de resto-bar, très joli mais vide. J'entame la conversation avec le patron qui m'offre une bière avec du citron. Sa femme arrive pour se joindre à nous et je vois son regard se poser sur mon visage avec une drôle d'expression. Je vais aux toilettes et sursaute devant ma joue très gonflée. Avec ma tête déformée par la piqûre de l'insecte et la douleur, je comprends qu'on m'offre un verre et qu'on me dévisage ainsi...

En suivant les conseils des gens de la région je passe par le Parc national du Lac de Shkodra, paradis pour les observateurs d'oiseaux.

Je roule sur des routes presque abandonnées que j'ai baptisées "les routes de contrebande". Mon imagination m'entraîne dans des histoires insensées... ça doit être la chaleur !

Un serpent bleu glissant dans l'herbe

A ma droite, la paroi de la montagne et ses plantes qui jouent à m'attraper. A ma gauche, un ravin et la vue sur le Lac de Shkodra : on dirait un serpent bleu glissant dans l'herbe.

Je n'arrive pas à dépasser les 50 km/h sur ce type de route. Des virages, des lignes droites, je dois esquiver les plantes, les cigales chantent... Le goudron gris clair plein de trous me force à zigzaguer et je continue comme ça jusqu'à la frontière. La route est de plus en plus en pente, avec des virages très serrés. Le goudron laisse place aux pierres, avec des trous assez grands pour égarer la moto définitivement...

Le pilotage se complique, en pente et avec des épingles. Avant moi, un troupeau de vaches est passé par là, laissant des bouses fraîches... La moto devient un sport de  glisse !

Je ne sais pas comment faire : si je freine de l'avant, c'est la chute assurée. Avec le frein arrière, la moto continue à descendre... 70 et 30%, plus “les cadeaux” laissés par les vaches... ça ne freine plus, je glisse... Je glisse deux fois et je ne tombe toujours pas. Je rigole nerveusement. Je dois avoir une bonne étoile ! J'aperçois la nationale, du goudron pas tout frais, mais assez pour continuer à rouler normalement.

Frontière albanaise

Je suis très stressé et fatigué, ma bouteille d'eau est vide, je vérifie mon visage, et là ce n'est plus drôle du tout. Je devrais aller à une pharmacie au plus vite. Je reprends mes esprits et la direction de Shkodër. Je suis à 40 km max.

Dans cet état d'esprit, j'arrive à la frontière albanaise. La chaleur est revenue et ça n'aide pas. Je dégouline littéralement. Je passe la frontière très facilement et l'Albanie me rappelle que je ne suis pas chez moi. Le changement est violent. L'Albanie : un autre pays, une autre réalité. Des maisons à moitié construites, des charrettes, des vélos, quelques vaches en libertés, des gens à pieds au bord de la route avec des outils de travail... et la chaleur toujours là.

J'ai très chaud et je ne sais pas où je vais dormir. Heureusement, Shkodër n'est pas loin de la frontière. J'ai besoin de me reposer. J'arrive en ville sans vraiment arriver, je suis dans un état second. J'aperçois un panneau "Hôtel" et je négocie une chambre pour 20 € avec l'air conditionné, un petit paradis. J'enlève le blouson et le casque et je m'endors avec les bottes !

Le lendemain, je décide de faire du tourisme classique. Je vais laisser reposer ma V-Strom et mon côté pilote. Je prends le bus pour aller visiter le château Rozafa et ses environs. Il date en grande partie du Moyen-Age  et offre une vue magnifique sur la ville et les rivières Bojana et Drin qui la traversent. Une visite a ne pas manquer !

Toujours sous une chaleur presque insupportable, je prends la route du retour vers mon très cher air conditionné, sans me presser.

Je regarde les gens, les magasins, j'aperçois passer une charrette tirée par un âne, avec la partie de devant d'une Mercedes rouge... Derrière lui, une deuxième charrette, avec la partie centrale de la voiture et la troisième avec l'arrière de la voiture...

Je m'arrête prendre un verre en route et le patron du resto me propose du poisson pour le déjeuner.

- Oui, je veux bien, dis-je à cet albanais qui parle un italien parfait.

Et à ma grande stupéfaction, il me montre un aquarium pour que je choisisse le poisson que je veux. Je me suis retrouvé avec un autre client à attraper notre déjeuner dans l'aquarium.

Ensuite, les autres clients du restaurant m'approchent sans timidité, très envieux de parler avec moi. Ils posent des questions sans arrêt, d'où je viens, comment je voyage et pourquoi tout seul... et j'étais même pas à moto ! Avec la proximité de l'Italie, les gens se débrouillent très bien et avec mon espagnol et mon grand désir d'échanger, la communication est facile. Pour finir, pour 10 € j'ai eu un poisson géant avec deux bières, un café et de la bonne compagnie.

Le lendemain, frais comme un gardon et ressourcé, je reprends la route vers le Kruja Castle, Rruga Kala, Krujë, Albanie. Je trouvé ce château sur le web et il a l'air plus qu'intéressant.

Sans savoir exactement où il se trouve, j'ai entré le nom de la ville à proximité dans le GPS et je suis parti sans vraiment savoir ce qui m'attendait. Ensuite j'irai passer la nuit à Tirana, capitale de l'Albanie. En gros, voilà le plan de ma journée.

Chaos total : chacun pour soi

J'avais seulement une centaine de kilomètres à faire jusqu'au château, donc je ne suis pas parti trop tôt et j'ai pris la route l'esprit tranquille. Erreur de ma part : la chaleur était déjà là et je ne savais pas que mes cartes GPS allaient me jouer des tours...

La circulation en Albanie est tout simplement un bordel pas possible ! Ils doublent comme ils veulent, les nationales sont piégées par des trous énormes et des pierres géantes, et pour bien t'achever si t'as eu de la chance, il faut gérer les dépassements suicidaires et les voitures arrêtées au bord de la route sans raison apparente. Oubli total de la notion de bande d'arrêt d'urgence !

Attention, ça ne concerne que moi : je suis sûr que mieux équipé, avec les cartes qu'ils faut, la conduite en Albanie peut être un peu plus “normale” et peut-être que j'aurais pu éviter des chemins et cette circulation sans égale que j'ai dû affronter.

Les paysages sont sublimes et les gens (en dehors de leur voiture) très accueillants, mais la façon de conduire est suicidaire !

Et comme ça je me trouve en Albanie, au pays des “autos tamponneuses”, avec une carte de GPS pas du tout à jour, des chemins casse-gueule partout, au point que j'ai dû traverser une décharge pour récupérer “ma route”, le tout sous une chaleur insupportable.

C'est là que mon côté aventurier a pris la fuite à vitesse grand V. 

- Tu voulais improviser ?, me dis-je.
- Tiens, t'es servi !

La circulation autour de Tirana est très dense et dans l'espace d'un après-midi j'ai pu voir deux accidents. Dans les ronds-points, c'est encore une fois le chaos total : chacun pour soi. Je décide de trouver un camping proche d'un autre château que j'avais repéré: le Petrela, du XVème siècle. Si vous êtes amateur de châteaux, cette visite vaut la peine.

Le plus ancien lac d'Europe

En essayant de ne plus penser à mes échecs de la journée, je me réconforte dans un camping avec piscine. Encore une fois, je partage mon dîner avec des gens qui viennent vers moi naturellement, et après quelques verres mon italien suit naturellement.

Le lendemain, je décide d'aller visiter le Lac Ohrid, du côté de la Macédoine, car une amie parisienne m'a conseillé fortement cette ville.

Le Lac d'Ohrid, le plus ancien lac d'Europe, se trouve sur la frontière entre la Macédoine et l'Albanie. La ville est côtière et très touristique, idéale pour se reposer ou aller faire la fête. Les hébergements sont nombreux et il ne faut pas hésiter à en négocier le prix. Autour de la ville il y a des villages de pêcheurs et aussi la forteresse Samuel, le monastère Sveti Naum et le parc national Gamicica.

Les routes étonnamment sont très bien et la circulation s'améliore beaucoup... sauf quand on croise un albanais !

Après réflexion, je décide finalement de retourner en Albanie. Je voulais enlever le goût amer de ce trop court séjour et de cette sensation d'échec.

Et en même temps, je devais commencer à réfléchir à mon retour, je n'étais pas tout près de Paris.

La ville aux 1000 fenêtres

Donc, après quelques informations piochées sur le web, je décide de partir vers le District de Berat, en Albanie, ville inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco, connue comme "la ville aux 1000 fenêtres".

C'est parti ! Devant moi, seulement 160 km à parcourir plus un passage de frontière à franchir. Je pense que ça va me prendre trois heures... Mais je me suis bien sûr trompé !

Entre le fait que le GPS ne marchait plus, la circulation, les demi-tours, la chaleur qui me rendait un peu faiblard malgré des paysage magnifiques, je me suis paumé sur des routes abandonnées... jusqu'à rentrer dans le jardin d'une charmante dame vêtue tout de noir qui trayait une vache.

- I am sorry madame, je tente...
- Scusi signora, je re-tente.

Aucune expression sur son visage. Je fais demi-tour dans son jardin - en évitant la vache et la dame - et je repars. Après quelques renseignements trouvés dans des stations-service, je suis finalement arrivé à Berat, la fameuse ville aux 1000 fenêtres.

L'Albanie est un très beau pays mais je me demande si ça vaut la peine de venir ici à moto. Je n'en suis pas sûr. On risque l'accident à tout moment. En revanche, pour faire des découvertes hors des sentiers battus avec une moto plus adaptée aux terrains accidentés, oui.

Il y a des endroits vraiment magnifiques et les gens sont très accueillants... à part la dame en noir qui trayait sa vache, mais on peut comprendre qu'elle ne soit pas folle de joie de voir débouler un motard étranger dans son jardin !

Décidément, les journées en Albanie ne se passent pas comme je l'avais prévu. J'arrive à destination, mais dans quel état ? Encore une fois, je rentre à l'hôtel en morceaux. Alors je décide de rester sur place et d'utiliser l'hôtel de Berat comme QG. La chambre est très confortable, avec toutes les commodités, pour un prix accessible.

L'impression d'être bourré de somnifères

La cité médiévale est tout à fait magnifique (40 familles y vivent encore), il est très facile de s'égarer dans les rues et on voyage dans le temps...

La visite du Osumi Canyon est impressionnante, les petits villages qu'on traverse nous ramènent vers les siècles passés. C'est très beau, mais au bout de 15 secondes je ne supporte plus la chaleur. J'ai l'impression d'être bourré de somnifères, je dois souvent m'arrêter pour boire des boissons sucrées, de la caféine et manger des fruits achetés au bord de la route.

La fin approche. J'ai pris un billet de bateau qui devait me déposer à Trieste. Mais bien sûr, le bateau est annulé et je dois attendre une semaine pour le prochain !

- Mais je dois aller bosser, moi !

J'essaye de contrôler mes nerfs face à des gens qui s'en foutent complètement - et ils ont sans doute de bonnes raisons pour ça, mais là je n'ai ni l'envie ni le temps d'en discuter.

Le voyage est fatal aux préjugés, au sectarisme et à l'étroitesse d'esprit

Je finis par embarquer pour Bari, en Italie. Mon retour vient de se rallonger de 1000 km. J'ai passé quelques coup de fils et sans m'attarder (sauf pour déguster quelques pizza), je suis rentré par la côte italienne avec ma V-Strom et... mes deux casseroles, deux réchauds, trois assiettes, trois verres et cinq couteaux...

Après ces 6000 kilomètres, je suis de plus en plus convaincu que non seulement les voyages forment la jeunesse, mais que ce proverbe est valable pour la vie entière. Aller là où la culture, la langue, la nourriture sont différentes, qui plus est quand on a la chance d'être européen, de pouvoir circuler dans tant de pays sur si peu de kilomètres... La distance nous offre une perspective enrichissante sur notre "chez-nous".

Et comme le disait Mark Twain : "le voyage est fatal aux préjugés, au sectarisme et à l'étroitesse d'esprit, et nombreux de nos concitoyens en ont grandement besoin rien que pour cela".

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Honda met un peu d'eau dans son vin pour déradicaliser son incendiaire CBR1000RR-R 2024... Manque de bol : l'eau en question s'est écoulée jusqu'au circuit de Portimao où Moto-Net.Com s'est mouillé pour amadouer les 217,6 ch de la Fireblade haut de gamme SP, avec gestion électronique de l'amortissement Öhlins ! Récit dans notre essai vidéo.

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Essai Metzeler Roadtec 02 : le pneu supersport-GT

Capacités sportives et qualités routières : voilà le délicat compromis auquel propose de répondre le nouveau pneu Metzeler Roadtec 02 et son intrigante bande de roulement décrite comme adaptative. Moto-Net.Com l'a testé sur plusieurs types de motos pour vérifier si les promesses sont tenues. Essai complet, vidéo incluse.
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