Mystère et boules de pneus en MotoGP

Comme le stipule la nouvelle réglementation (lire Moto-Net.Com du 20 novembre 2006), les teams de MotoGP sont désormais contraints de sélectionner le jeudi précédant chaque Grand Prix 31 pneus par pilote : 14 avant et 17 arrière, gommes qualif et course comprises !

Or jusqu'ici, le choix des 31 pneus avait été grandement facilité par les tests effectués sur les pistes accueillant les deux premières courses au Qatar et à Jerez. Ainsi, le prochain rendez-vous, fixé ce week-end en Turquie ne manque pas d'intérêts...

Outre son tracé particulièrement intéressant et d'autres statistiques que nous développerons plus tard, l'Istanbul Park représente d'abord pour la troupe de l'Intercontinental Circus un défi jamais rencontré depuis l'arrivée des quatre-temps en 2002...

En effet, personne ne sait exactement quels seront les comportements des motos, des pneumatiques et des pilotes ce week-end ! Une question d'autant plus épineuse que les manufacturiers doivent distribuer à chacun de ses coureurs un nombre de gommes spécifiques et limités, susceptibles de répondre à leurs attentes respectives... Et tout cela sans poser une roue sur le circuit !

Une situation qui n'est pas sans compliquer certaines relations : "il sera plus difficile d’expliquer notre stratégie aux teams car nous n’avons pas pu échanger nos impressions autour de résultats de tests", prévoit Jean-Philippe Weber, responsable de la compétition moto chez Michelin. "Désormais, la responsabilité penche plus de notre côté pour trouver la performance, et ils devront encore plus nous faire confiance", résume le français.

Par ailleurs, les manufacturiers doivent baser cette stratégie sur des prévisions météo à quatre jours, plus ou moins fiables, augmentant ainsi la tâche des ingénieurs : "les prévisions météo s’avèrent très importantes aujourd’hui. L’an dernier nous pouvions être très réactifs et, dans la nuit précédant une course, faire venir des pneus fraîchement fabriqués", regrette-t-on chez Michelin !

Pour couronner le tout, il faut également souligner que le tracé sur lequel évolueront les 800cc ce week-end est particulièrement exigeant, notamment au niveau des gommes. "L’adhérence sur l’angle et la motricité s’avèrent très importants à Istanbul Park, surtout dans les virages 3, 5 et 7. Et le virage n°12 exige une bonne stabilité au freinage ", analyse Jean-Philippe Weber.

"Il sera intéressant de voir comment notre nouveau 16 pouces avant se comporte en Turquie, nous avons constaté que Rossi, ainsi que quelques autres de nos pilotes, ont la capacité d’être très agressifs dans les courbes", conclue le responsable français, qui n'est pas sans savoir que la piste turque comprend une impressionnante succession de trois grands gauche menant au virage le plus rapide de tout le calendrier !

Cette cassure sur la droite se négociait en cinquième aux alentours de 270 km/h sur les 990... Et il est probable que sur leurs nouveaux prototypes, les rois du guidon passent encore plus vite ! Alors chiche de garder les gaz ouverts en grand ?

Un dernier virage vaut le coût de traverser le Bosphore à la nage : "le virage n°1 est très technique et la télé ne lui rend pas justice. Les gens assis chez eux sur leur canapé ne se rendent pas compte à quel point l'entrée est en aveugle ni quelle descente il offre, ce qui est très fun", décrit Nicky Hayden.

Disputé pour la première fois en 2005, le GP de Turquie n'a connu pour le moment qu'un seul vainqueur : Marco Melandri ! Absent des débats depuis l'ouverture de la saison, le hérisson italien profitera-t-il de cette halte pour rebondir ?

Marco tente de s'en convaincre grâce aux tests effectués au lendemain de la course de Jerez : "nous avons trouvé des solutions intéressantes visant à améliorer le feeling du train avant, qui m'a causé quelques problèmes lors des deux premières courses".

Cela suffira-t-il au n°33 pour retrouver le chemin des podiums ? Pas si sûr... Sur son site personnel, le discours est d'ailleurs bien plus évocateur que dans les communiqués officiels. Rentré directement dans son mobil home une fois le drapeau à damier franchi à Jerez - en 8ème position -, Marco peste vigoureusement...

D'abord contre son team à qui il demande sèchement - il s'en excusera plus tard - de changer radicalement le comportement de son train avant pour le lendemain, "par n'importe quel moyen !". Puis arrive le tour de celles et ceux qui considèrent qu'il a un "mental fragile" alors que le problème vient de sa moto et de ses pneus. Ensuite, Melandri pose une question... la question !

"Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi Yamaha a commencé à gagner avec Valentino ???", demande le pilote à ses fans. "Peut-être parce qu'ils se sont dit : "merde, avec tout l'argent qu'on a dépensé pour l'avoir, cela ne vaudrait-il pas la peine d'en dépenser un peu plus pour faire tout ce qu'il veut ?". Je n'ai jamais eu cette possibilité", regrette Melandri, qui souhaite acquérir un statut de pilote d'usine depuis longtemps (lire Moto-Net.Com du 6 décembre 2005)...

Mais le pilote Honda Gresini finit par relativiser : "Au final, quand je pense à Locatelli (sévèrement blessé au Qatar, NDLR) en me relisant je me dis que je ferai mieux de la fermer", même si le mieux pour lui serait sans doute de dédicacer à son compatriote une victoire... ce dimanche ?

Presque aussi bon au Qatar mais bien mieux parti que Marco cette saison, Casey Stoner croit lui-aussi en ses chances. Vainqueur de la course 250cc en 2005 et deuxième l'an dernier au guidon de sa RCV chaussée de Michelin, cette année s'annonce encore bien différente pour Casey qui court sur une Ducati chaussée de Bridgestone.

Mais cela n'effraie pas le gamin australien, bien au contraire ! "Un grand panel de motos marchent ici car il y a tout type de virages", assure le n°27 avant d'affiner son analyse : "on peut gagner du temps dans les courbes rapides avec une moto stable ou on peut profiter d'une moto nerveuse pour s'extirper des passages plus tortueux".

Chez Ducati, inutile de dire que le 11ème virage devrait être avalé sans encombre et à très grande vitesse mais reste à savoir si dans la partie sinueuse, d'autres motos ne seront pas plus - voire trop - rapides... Comme la Yamaha de Rossi par exemple !

Incapable de boucler un tour en tête à cause d'une ligne d'arrivée située très tard à Losail, Rossi bénéficiera ce week-end d'un finish un peu plus favorable à sa Yamaha. Mais le pilote italien n'en est pas soulagé pour autant...

S'il reconnait que Istanbul Park "est un beau circuit avec des virages très rapides", le célèbre n°46 ne l'apprécie pas plus que cela. Vale craint même que la puissance de sa Yam ne soit pas suffisante pour rivaliser avec ses adversaires lors des deux prochaines épreuves en Turquie et en Chine.

Quoique, Rossi doit admettre que la ligne droite turque n'est pas des plus longues : 720 m. De plus, la vitesse de pointe atteinte au bout de cette ligne droite dépend beaucoup du courage avec lequel on aborde la courbe n°11 qui la commande. Un exercice périlleux qui ne devrait pas poser trop de problème au septuple champion du monde !

Cela dit, le Doctor protège ses arrières et ne souhaite naturellement pas débarquer tel un conquistador sur l'une des deux pistes qui manque à son palmarès, l'autre étant Laguna Seca... Mais d'un point de vue purement statistique, c'est la victoire d'un autre pilote qui réjouirait les fans de MotoGP !

Car après Melandri, Capirossi, Elias, Bayliss, Stoner et Rossi, quoi de plus plaisant que de voir un septième pilote ajouter son nom à cette liste prestigieuse ? Or parmi les coureurs en lice, un jeune espagnol sort résolument du lot : Dani Pedrosa !

Auteur d'une remontée phénoménale de la 16ème place sur la grille à la tête de la course dès le 12ème tour, le jeune Asimo avait malheureusement payé les frais d'un freinage trop appuyé sur l'angle et vu sa première victoire lui échapper.

Depuis évidemment, Dani s'est rattrapé, décrochant deux 1ères places en 2006 et prouvant à qui osait en douter qu'il pouvait être extrêmement rapide sur 990cc. Et ce n'est pas l'arrivée des 800 censées lui profiter étant donné son minuscule gabarit, qui devrait limiter les capacités du n°26 à remporter des courses !

En fait, la seule chose que souhaite Pedrosa est de ne pas avoir à endurer les mêmes conditions météorologiques que l'an dernier : "il avait fait très froid donc j'espère qu'il fera meilleur", note le pilote Honda.

L'année dernière, la séance qualif s'était même déroulée dans des conditions de pluie absolument dantesques mais qui avaient eu le mérite de mettre en valeur un autre rookie : Chris Vermeulen.

"Je garde de bons souvenirs d'Istanbul car c'est là que j'ai obtenu ma toute première pole position", se remémore le pilote Suzuki qui devait signer une seconde pole quelques mois plus tard aux États-Unis, sur le sec cette fois-ci.

Aux commandes de sa nouvelle GSV-R 800, le poulain de Barry Sheene n'est pas encore parvenu à briller, la faute justement à de trop mauvaises places sur la grille de départ. "Être relégué au 5ème rang rend la tâche ardue", note Chris à juste titre, "je dois être parmi les meilleurs dès le départ et non pas jouer les poursuivants".

Nicky Hayden pourrait néanmoins lui démontrer qu'être dans le groupe de tête ne suffit pas à obtenir un excellent résultat. Particulièrement remonté à Jerez, l'américain avait effectué un début de course tonitruant, sautant de sa 11ème place sur la grille à la 4ème au bout du premier tour !

Mais incapable de mener sa RC212V dans le rythme des hommes de tête pendant la seconde moitié de la course, le Kentucky Kid a du se contenter de la 7ème place...

Hayden compte donc sur cette nouvelle épreuve pour rectifier le tir et améliorer son classement au championnat : le Number One n'est pour l'instant que 6ème avec 17 points, contre 45 pour Rossi et 38 pour Pedrosa et Stoner !

Quatrième du championnat, Colin Edwards a pleinement profité de la pause de trois semaines séparant le Grand Prix de Jerez de celui d'Istanbul. "C'était bon de passer un peu de temps chez moi, à me reposer tout en sachant que nous avions bien marché à Jerez", se réjouit l'américain !

Mais déjà ses doigts de pieds en éventail doivent retrouver le confinement des bottes... avant de savourer une nouvelle douche au champagne ? La Tornade Texane le souhaite : "il faut prouver que Jerez n'était pas du vent", après tout !

Au sujet du mystère concernant les pneumatiques, le pilote Yamaha n°5 se montre extrêmement confiant : "nous sommes tous dans le même bateau !", modère-t-il ! Quoique, sept pilotes sont équipés de Michelin, dix de Bridgestone et deux de Dunlop...

Mais là encore l'optimiste de Colin est infaillible : "nous avons juste à faire preuve de confiance envers Michelin : nous pensions avoir des soucis à Jerez mais ils étaient sûr d'avoir "le" pneu et ils avaient raison".

Premier pilote Bridgestone - 4ème au "scratch" - lors de ce dernier GP, Toni Elias compte lui-aussi parmi les pilotes à surveiller ce week-end. Capable du pire comme du meilleur, il est bon de rappeler que c'est lui qui détient le record du tour en course sur la piste turque...

Cette année, la jeune étoile espagnole compte sur son nouveau manufacturier japonais pour se frotter aux meilleurs : "Bridgestone devrait apporter de nouvelles choses en Turquie". Un soulagement pour l'ensemble des pilotes de cette marque...

"L'an dernier les pneus Bridgestone ont souffert en Turquie", admet volontiers Hiroshi Yamada, Directeur du département sportif chez Bridgestone Motorcycle, "malgré la pole de Chris Vermeulen sur le mouillé, il a fini 7ème, une place derrière notre meilleur pilote Loris Capirossi".

Un Capirossi qui aura à coeur de briller au prochain Grand Prix après avoir connu un début de saison difficile. "Le tracé d'Istanbul Park est beau, c'est une piste très intéressante donc je l'aime beaucoup", déclare Loris.

Comme beaucoup de pilotes, Capi-T-Rex apprécie particulièrement le 11ème virage "très fun, incroyable parce que tu passes tellement vite, presque à fond de cinq sur la 990", frétille l'éternel ado. Jeune d'esprit mais papa d'un petit Ricardo depuis le 3 avril dernier, Capi-T-Rex refocalisera-t-il toute son attention sur la piste, afin de dédier sa victoire à son fiston ? Réponse dimanche.

Autre atout de Bridgestone, John Hopkins devra faire fi de ses problèmes de santé : "mon poignet est toujours douloureux mais il était hors de question de subir une opération !", s'insurge le n°21 du Team Suzuki.

Son "poignet bandé et une fois monté sur la moto, l'adrénaline fera son effet", et l'anglo-saxon devrait être capable de confirmer son excellent niveau. Prétendant au podium il y a trois semaines à Jerez, se pourrait-il qu'il soit notre 7ème homme ?

Naturellement, il nous serait plus plaisant de voir un français monter sur la plus haute marche du podium ce dimanche ! Or considérant Jerez comme "un tournant" dans l'évolution de sa Ninja, Randy de Puniet aborde le GP turc avec confiance et détermination.

"Istanbul Park est un circuit rapide et sympa : je l'aime bien !", affirme Randy. Alors sans se faire de "fausses illusions", le n°14 du team Kawa espère qu'avec son année d'expérience en poche, il ne rencontrera pas les mêmes soucis de réglages que l'an dernier. Il fera de son mieux en tout cas, il nous l'a promis.

Son coéquipier et compatriote Olivier Jacque vise quant à lui "le top 10" pour ce Grand Prix. Après le "cauchemar" de Jerez, OJ a su profiter de la trêve.

"Nous n'avions pas eu beaucoup de temps pour nous reposer depuis janvier et cette pause a été géniale pour recharger nos batteries et revenir encore plus forts", respire le célèbre n°19. "C'est certain, il nous faudra un moteur puissant mais nous ne devons pas oublier la dernière section qui demande une moto facilement manoeuvrable"... Un bon point pour sa ZX-RR ?

Troisième pilote français inscrit au championnat et seul débutant cette année, Sylvain Guintoli s'apprête à livrer une nouvelle bataille pour les points, qu'il a remportée lors de ces deux premiers GP.

Faisant exception à la règle des 31 pneus, son manufacturier Dunlop bénéficie d'un statut différent de ceux de Michelin et Bridgestone, mieux installés en catégorie reine. Espérons que cet avantage accordé à l'outsider permettra à Sylvain de grappiller encore quelques places en accrochant un bon wagon en course et en négociant avec style les dernières chicanes !

Et les lièvres du français pourraient bien être les Ducati d'Antin pilotées par les deux Alex - Barros et Hoffman -. "Je n'ai pas beaucoup de données me permettant d'élaborer une prévision", explique le brésilien qui n'a couru qu'en 2005 sur cette piste, "mais je sais que Ducati a toujours obtenu de bons résultats".

Engagé l'an dernier en Superbike, Barros n'avait pas du bien suivre la course puisque seul Capirossi avait fait bonne figure en terminant 6ème l'an dernier, Gibernau se classant 11ème et Hoffman terminant à la 16ème place... Quant à l'année précédente, Loris était absent et si Carlos Checa s'était illustré avec une belle 5ème place ,il n'en demeurait pas moins à 26 secondes du podium !

Le défi s'annonce donc relevé mais intéressant pour l'équipe d'Antin Pramac. "J'aime beaucoup la course d'Istanbul, à mon avis, la piste est superbe et convient à la fois à nos Bridgestone et à la Ducati GP7", assure Hoffman, ravi du passage de son team des gommes Dunlop aux gommes Bridgestone.

Shinya Nakano, qui pour sa part a échangé ses Bridgestone contre des Michelin et sa Kawasaki contre une Honda, n'est pas pleinement satisfait de son nouveau matériel. Encore que, à l'écouter, le pilote japonais devrait être "capable d’aller beaucoup plus vite", à condition de transposer ses bons réglages obtenus sur le mouillé pendant les derniers tests de Jerez aux conditions de piste de ce week-end.

Super Shinya développe : "nous avons réussi à trouver un meilleur feeling avec l’avant de la moto, feeling dont j’ai besoin pour mon pilotage", et que de nombreux pilotes Honda continuent de chercher... " Nous allons tout faire pour aider Shinya à améliorer sur le sec sa confiance avec le train avant. Pour cette raison, nous avons prévu d’essayer en Turquie des choses différentes au niveau de la fourche", précise Giulio Bernardelle, directeur technique.

Ainsi, Gianluca Montiron part avec son team Konica Minolta Honda "en Turquie avec l’ambition de rentrer dans le top 8 et à partir de là, course après course, je suis persuadé que nous pouvons régulièrement figurer aux avant-postes".

Affrontant les mêmes soucis de train avant sur sa RCV, Carlos Checa du team de Lucio Cecchinello fonde lui aussi de gros espoirs sur les progrès réalisés pendant les tests au lendemain de sa course nationale : "les pneus avant Michelin ont donné de bons résultats qui pourraient être utiles pour la course en Turquie", note Carlos.

Troisième team manager à ne pouvoir compter que sur un seul pilote pour réaliser une bonne performance ce week-end, Kenny Roberts Senior tâchera d'aider au mieux son fiston ! Déjà, papa a su attiré un nouveau sponsor pour poursuivre la belle aventure familiale : "Top 1 Oil a su voir le potentiel qu'offre le MotoGP et nous sommes fier qu'ils nous aient choisi comme partenaires", déclare KR Senior.

Enfin, signalons l'arrivée d'un autre sponsor dans la ronde de l'Intercontinental Circus : la marque "Wudy" appartenant au groupe italien Agricola Italiana Alimentare. Elle figurera sur les équipements et les motos de Tamada, Guintoli, Edwards et Rossi.

Rendez-vous donc lundi prochain pour l'inimitable tour par tour de J.Arsouille, sur Moto-Net.Com !