Pour Michelin, innover est la meilleure façon d'avancer... et de conforter sa position de numéro un mondial en s'ouvrant à de nouveaux marchés ! Une stratégie que nous détaille Hubert Hannezo, le big boss du deux-roues chez le pneumaticien français.
En lançant pas moins de six nouveautés au premier trimestre 2013, Michelin frappe un grand coup : en deux ans seulement, toute sa gamme de pneus radiaux pour motos routières et sportives aura été renouvelée (lire notre Essai MNC du Pilot Road 3 du 25 mars 2011 et notre Essai MNC des Power Cup et Power Slick du 22 mars 2012).
Michelin entend ainsi satisfaire à toutes les attentes, y compris celles des marchés en devenir, en apportant sa "french touch" : innovation et technologie. Du maxi-trail avec l'Anakee III (et sa version plus off-road, Anakee Wild) aux sportives qui tâtent régulièrement du circuit avec le Power SuperSport, en passant par les roadsters sportifs avec le Pilot Power 3 et les petites et moyennes cylindrées avec le Pilot Street Radial, chaque moto doit trouver "pneu à sa jante" chez le Bibendum...
De quoi donner le sourire à Hubert Hannezo, directeur général de l'activité deux-roues du groupe Michelin, qui revient pour MNC sur la situation et les perspectives d'avenir du manufacturier français.
Moto-Net.Com : Quelle est la situation de Michelin sur le marché mondial du pneu moto ?
Hubert Hannezo, directeur général de l'activité deux-roues du groupe Michelin au niveau mondial : Sur le marché du remplacement du pneu radial pour des motos de 600 cc et plus, Michelin est le numéro un mondial.
M.-N.C : Comment confortez-vous cette position ?
H. H. : Cette position est le fruit de l'accélération du renouvellement de nos produits et coïncide aussi avec le lancement du Pilot Power en 2004. Selon moi, le raccourcissement du cycle de vie de nos produits adopté ces dix dernières années a vraiment joué un rôle essentiel : l'intervalle de remplacement de nos grandes gammes radiales est passé de quatre à cinq ans à deux à trois ans.
Les pneus moto Michelin en chiffres |
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De plus, nous sommes devenus plus efficaces en raccourcissant par exemple le moment où l'on décide de lancer un nouveau produit et le moment où il arrive sur le marché. A ce niveau, j'estime que nous avons gagné un an par rapport à il y a dix ou quinze ans. Enfin, nous avons aussi beaucoup investi dans la recherche et le développement en augmentant notamment le nombre de développeurs. Le facteur humain étant un élément-clé, le nombre d'essayeurs a aussi été revu à la hausse, tout comme le nombre de motos de notre parc d'essais.
M.-N.C : A combien s'élève cet investissement ?
H. H. : C'est assez peu élevé si l'on compare avec le budget annuel total en R&D du groupe Michelin. L'activité moto représente en effet une dizaine de millions d'euros, alors que le budget pour le groupe s'élève à 622 millions d'euros ! Néanmoins, ce qui me semble plus important, c'est que notre investissement suive une pente croissante : durant les sept ou huit dernières années, le budget R&D de l'activité moto a doublé.
M.-N.C : Existe-il des transferts de technologies entre toutes les catégories de véhicules qu'équipe Michelin (aéronautique, automobile, poids lourds, cyclos, génie civile, agricole, deux-roues motorisés, etc.) ?
H. H. : Oui. En amont, tout d'abord : lorsque nous faisons des recherches, nos différents services vont échanger pour mutualiser leurs compétences. Par exemple, si l'on considère les matériaux, jusqu'à maintenant nous n'utilisions que du caoutchouc naturel ou synthétique alors qu'aujourd'hui nous commençons à parler de résines ou de végétaux dans la composition du pneu. Or, notre activité deux-roues est trop "petite" pour avoir la puissance de recherche nécessaire à la mise au point de ces nouvelles technologies. On va donc apprendre et profiter de l'expérience de nos collègues de la branche "Tourisme", notamment.
M.-N.C : Quel est l'impact de l'effondrement du marché moto et scooter en France et en Europe sur vos volumes de ventes ?
H. H. : Il ne faut pas perdre de vue le fait que le marché européen a considérablement augmenté entre 2000 et 2008, avant de connaître une cassure en 2009. Puis il est reparti en 2010 et 2011 et est de nouveau retombé en 2012. Si l'on considère son évolution sur dix ou douze ans, nous sommes donc encore dans de bonnes années. Et comme nos produits se sont bien vendus durant cette période, Michelin souffre assez peu, aujourd'hui, des difficultés du marché européen. Maintenant, si ces difficultés perduraient, la situation serait à reconsidérer. D'autre part, Michelin est en train de renforcer sa présence dans des pays déjà "mûrs" comme l'Amérique du Nord, le Japon ou l'Australie, ce qui compense largement les récentes difficultés du marché européen - quand bien même elles continueraient à s'accentuer.
Michelin Pilot Street Radial : sus aux marchés émerg(és)ents ! |
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M.-N.C : Outre un redéploiement sur les pays "mûrs", le lancement des Pilot Street pour motos de petites et moyennes cylindrées semble aussi indiquer que Michelin élargit aussi son champ d'action vers les pays émergents ?
H. H. : Notre insertion sur les marchés émergents n'est pas seulement liée à la baisse du marché européen, elle fait suite à notre arrivée sur le marché brésilien qui date d'environ sept ans. Car c'est au Brésil que nous nous sommes rendus compte en premier que les motards étaient à la recherche de performances et de technicité, même sur des motos de petites et moyennes cylindrées. Et cette recherche de performances s'est intensifiée avec l'augmentation de la cylindrée à laquelle nous avons assisté : de 100 à 125cc, le marché est passé à 150, puis 200 et 300cc (NDLR : le fait que les ventes de deux-roues aient triplé au Brésil en dix ans a sans doute aussi attiré l'attention de Michelin !).
Pour Michelin, il s'agit d'une nouvelle aventure : nous avons notre activité traditionnelle sur les marchés "riches" que nous maîtrisons, et désormais nous investissons les marchés émergents où nous comptons nous distinguer des manufacturiers locaux - qui ont misé sur une stratégie industrielle pour répondre aux besoins - grâce à la technologie.
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L'objectif est d'apporter quelque chose de mieux et le Pilot Street Radial correspond exactement à cette philosophie (NDLR : en Asie, l'essentiel du marché utilise des pneus loc(ost)aux à structure diagonale : l'arrivée d'un radial technologiquement évolué comme le Pilot Street constitue donc un événement). Pour ma part, je suis convaincu que la part des 600cc sera significative d'ici dix ans sur les marchés émergents, et qu'elles feront alors le "pont" avec les grosses cylindrées.
M.-N.C : Il n'y a pas si longtemps Michelin communiquait sur la performance de ses pneus motos, puis l'axe a évolué vers la technologie, et sur votre nouvelle gamme 2013 c'est la longévité qui est au coeur du message. S'agit-il d'une adaptation au contexte économique difficile ?
H. H. : La longévité et le grip sur le mouillé ont toujours été des points clés. Ce sont donc des éléments sur lesquels Michelin essaie toujours de progresser. Il est vrai que nous avons trouvé des solutions permettant de sensiblement améliorer ces facteurs ces dernières années, donc nous le mettons en avant. De plus, il est exact que la notion de kilométrage reprend de l'importance à cause de la situation économique. Aujourd'hui, je crois que pouvoir dire à un consommateur "avec ce pneu, vous faites plus de kilomètres qu'avec celui-là", c'est important.
M.-N.C : En automobile, vous communiquez beaucoup sur la réduction de consommation de carburant que génèrent vos pneus Energy. Pourquoi pas en deux-roues ?
H. H. : En deux-roues, l'impact du pneu sur la consommation est nettement moins élevée qu'en auto - et surtout en poids lourds - en raison des frottements moindres. Cependant, les technologies changent rapidement et qui sait si demain ce critère ne prendra pas plus d'importance ? D'autant qu'un autre aspect est à prendre en compte : l'arrivée des deux-roues électriques. Même s'il est encore difficile de mesurer leur véritable place dans le futur, ces nouveaux véhicules pourraient nous conduire à plus nous concentrer sur la résistance aux frottements et surtout - à mon avis - sur le poids des pneumatiques.
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M.-N.C : Michelin a déserté les compétitions "reine" du sport moto (WSBK, MotoGP) sous prétexte qu'elles étaient devenues mono-gommes. Cette stratégie ne dessert-elle pas les ventes de vos pneus racing ?
H. H. : Pour Michelin il n'y a que deux raisons de s'engager en compétition de haut niveau : l'image et la technologie. En termes d'image, la compétition a effectivement servi Michelin, notamment pour promouvoir la technologie radiale que nous avons testée en GP dès 1984, puis introduite en série en 1987. Cela nous a aussi permis de développer notre "image" de grand manufacturier moto, car Michelin n'était par forcément perçu comme tel il y a 20 ou 30 ans.
Mais aujourd'hui, je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'en faire plus à haut niveau pour améliorer notre image. Il est plus important d'élargir notre champ d'activités sportives pour toucher plus de motards. Concernant la technologie, nous sommes convaincus que seule l'émulation apporte du progrès : nous constatons d'ailleurs que les chronos des championnats devenus mono-marques n'évoluent pas beaucoup... Ce qui n'est pas le cas des compétitions multimarques où nous sommes présents, comme les championnats de vitesse espagnols, italiens ou l'endurance.
M.-N.C : Est-ce que Michelin retournerait en MotoGP s'il redevenait ouvert à tous les manufacturiers ?
H. H. : (rires)... Il faudra étudier le contexte ! Mais si c'était le cas, cela voudrait dire qu'il y aurait de nouveau une course à la technologie, car dès qu'il y a de la compétition, la technologie progresse...
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